samedi 13 juillet 2013

La vie est une terre de miracle

Non, je ne deviens pas fou.
La retraite, pas plus que toutes ces années au travail, ne fera de moi, ni un saint, ni même un plongeur en eaux bénies.
Un vieux un peu sage? Peut-être! Dans longtemps! Il ne me déplairait pas.

Pour l'heure simplement, je tiens pour miraculeux ce qui me touche, ce qui m'arrive parfois, quand je n'attends rien et m'en retrouve bouleversé pourtant : rationalité cul par dessus tête, évidences cabossées .... 

J'ai vécu ce paradoxal bonheur (je ne me l’explique pas!), de vivre mon départ à la retraite comme un enterrement éprouvé de mon vivant. Quelque chose comme un retour sur investissement vital.
Je ne vous dirai pas tous les détails de ces jours, juste une grossière synthèse de mes impressions. Elles vous importeront, peut-être peu aujourd'hui, mais j'aime à penser qu'elles vous aideront, (un peu, qui sait!, bientôt!) à vivre les yeux mieux ouverts vos propres et originaux passages. De  ces années vécues au travail me sont revenus au visage le cœur que j'y ai mis, ou mieux le cœur de ce que j'y ai mis, souvent ou le plus souvent, sans m'en rendre compte. L'essence m'en a été rendue. J'ai fait le deuil d'un vécu, pu passer à un au-delà. 

Huit jours plein sur le thème.                                                          
Premièrement; nous avons accompagné jusqu'au sommet d'une montagne un ami avec qui j'ai travaillé à l'Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique, et qui partait « en retraite » : une tranche de vie à revoir, pour lui comme pour moi, en flashbacks. Une surprise de taille qui lui a été faite: cinquante personnes venues par divers chemins, rassemblées pour un pique-nique géant tiré des sacs.                                           
Mes propres collègues, deux jours plus tard, qui ont su avec plénitude et finesse rendre le sens de ce qu'ils ont perçu de mon engagement à l'ouvrage durant ces dernières années. Enterrement joyeux aussi! De quoi réjouir Brel quand il chante "Le moribond ».                                                                                             Oh ça, oui, on a bien ri.                                                                                                                                                                                    Les drôles ont été jusqu'à filmer dans les tiroirs de mon bureau, des boites de choucroute et de bon vin d’Alsace qu'ils y avaient mises.                                       Jusqu'à nous mettre une collègue et moi en compétition évaluative, tous les deux ridicules et heureux devant notre public.                                          Nombreux étaient ceux que j'avais perdu de vue, et qui ont répondu à l'appel  du dernier verre. 
          Et ma famille au complet, enfants, gendre, petit-fils et épouse à faire chorus et à m'offrir une bien émouvante chanson.                                                                                                                                                    Oui, de quoi faire le bilan ! Une soirée, pleine de musique : dehors, dans les gazons de l'école, sous  le feuillage des arbres bercés de brise, soutenu par un buffet richement garni.                                                                                                                                                                                      Chambré durant huit jours sur le thème: " Souviens-toi!" et  mille cadeaux d'adieu, pour me dire: " Va, vis, prends du bon temps !".
Et puis ce dernier jour! Comment défaire avec douceur, le fil des habitudes, du partage dans l'action, le fil des attachements et des responsabilités à assumer jusqu'au bout et puis à oublier demain. 
Ne me restait-il qu'à pleurer!? 
J'ai choisi d'en rire, encore. Vêtu, le matin, du costume sérieux de ma fonction, toutes les deux heures sous les yeux éberlués et rieurs des élèves mais surtout des collègues, je me suis allégé d'un effet. J'ai fini le jour; en short, tong, couronne de fausse fleur au cou et chemise hawaïenne. Des enfants  dessinant des bêtises sur un tee-shirt fantaisie tagué "Desesperate headmaster" ou "Very important person of this school"  .                                             Mais le jour n'était pas fini, je n'étais encore qu'à la frange du sens des choses. Avec mille complicités, dont celle de mon épouse, fine cachottière, des élèves de ma plus riche année d'enseignement, s'étaient donné(e)s   rendez-vous dans mon bureau.  Quinze ans plus tard; avec la chanson que nous avions crée ensemble et enregistrée avec des musiciens professionnels. J'ai donc bu la coupe, jusqu'à l'heureuse lie, et passé en leur compagnie, une soirée mémorable  à égrainer les souvenirs, à m'entendre dire qui j'avais été à leurs yeux, et à voir où tout cela les avait conduit(e)s chacun et chacune.                                                                                                           Sur un nuage d'ouate, je suis  finalement rentré pour recevoir l'ultime message de ce jour extraordinaire dont j'ai à me nourrir encore. Une ultime surprise dans un paquet blanc: ce livre arrivé le jour même, envoyé par Yves et Doris, nos amis de jeunesse. « Un voyage immobile » de Matthieu Ricard avec le plus beau message: "Deviens encore! Tes plus beaux instants sont là devant toi à goûter chaque jour". Un objet  magnifique, des photos sublimes et ce message, ce rappel de l'essentiel sens de la retraite: se retirer vers le centre, vers ce qui compte. L’immuable changeant. L’impermanente et multiple unicité de l’Etre.                                                                                              Seuls ma famille et de rares amis auront su totalement porter cette essentielle indication: l'importance de ce contact participatif que j'ai avec cette nature qui commence chez nous à ma porte, la méditation où elle me conduit généralement, l'écriture (le lieu où je m’efforce de la dire), et au travers de tout cela  la définitive quête de l'essence des choses.


"Entrer dans son cercueil", disent les moines zen de leur exercice de méditation. Je vais finalement à la retraite, comme on fait un premier pas, j'entre vivant et heureux en retraite, rien ne meurt en moi, tout se transforme pour un autre pareil. Je ne me retire pas d'un travail, j'entre dans un autre où je m'autorise à ne rien faire éventuellement pour le monde, à ne plus rien attendre, ni vouloir. Sinon goûter  peut-être à l'harmonie des choses, aux beautés du monde, à méditer ce nouveau rapport que j'ai à la vie.                 Sans doute, ne ferais-je, ce jour ou demain, rien d'autre que reprendre ce que j'ai toujours fait, parfois délaissé, ou cru délaisser .                                   
Je me rapproche pourtant de la source en suivant le grand fleuve où il va. Sous toutes les formes de l'eau, j'accepte encore de passer.

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