lundi 2 décembre 2013

Dernier voyage vers mon père

   


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Le roulis vague du train
Imprime, en moi,
Un si languissant refrain :
Le brouhaha des voies .

Une fillette s'ennuie
Sous une annonce qui rassure.
Patient tremblement, son babille sans vie,
Troue le feutre des murmures.

Dans les silences d'ouate, on les entend,
Interjections soudaines en forme d'apocalypse,
Elles s'imposent longtemps,
Pointues, coupantes comme du gypse.

Allées et venues de voyageuses,
Tendues, comme à la chasse.
« Nous sommes les travailleuses,
Rapaces ! Faites nous une place !  »

Venue de loin, une odeur
De jambon, fade, m'écœure :
Vulgaire, elle s'étire sans nuance.
Et fine, ma narine, guette celle du beurre rance.

Sous le pied, au sol appuyé,
Tressaille la bête tendue du voyage.
Une nuit, de lumières déchirées
Annonce des heures tristes. Présage !

Iles et ailes.

Il regarde Elle
Elle regarde Lui.
Regards qui se cherchent, œil qui fuit .
Ils ne se voient pas.
L'un rit quand l'autre tremble.
L'un s'interroge, le second se dérobe.
Chassé croisé d'œillades mal séquencées;
L'iris s'éternise quand la tête chemine.
Nulle rencontre. Rien qu'un rendez-vous manqué.


Il est déjà trop tard, et le train est passé.
Il ne regarde plus Elle.
Elle ne voit plus Lui.
Ne restent que des battements d'yeux.
Veules et dignement tristes :
Instants mort-nés.
Leurs esprits vont à tire d'ailes,
Vers deux îles opposées.


L'orgueil est un mode dépassé



Ombre sans lumière,
Fuite sans histoire...
Chaque visage est un mystère,
Chaque esprit, un ostensoir.
Qui es-tu toi que j'aperçus ?
Âme, à peine un instant, saisie,
Sache que l'Orgueil est un mode dépassé.

Nous ne sommes que d'infimes images,
Dans un film qui danse
Et passe trop vite vers sa nuit.
Si pleins de morgue, certitudes et importance.
Rien pourtant, face au sablier qui fuit :
Sais-tu que l'Orgueil est un mode dépassé ?

Nos silences sont des morts vécues,
Le temps, une expérience sans reçu.
Nos vides se peuplent de babioles,
Se forcent à oublier nos tristesses et même s'affolent.
L'Orgueil, vois-tu, est un mode dépassé,
Et l'existence en devient un chemin épuré.
Le temps glisse, insaisissable serpent,
Car, bien tôt, la mort nous rend à nos néants.




La mort du vieil homme


La tête posée aux mains de ses fils,
Il est mort le vieil homme
Dans le silence recueilli.
Libre, en somme,
Dans un dernier hoquet, il est parti.
Et blanc, sur une table, posés, un lys
Mêlé à quatre roses rouges.



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vendredi 11 octobre 2013

Le temps dans l’écriture


Notre écriture n’est pas un phénomène totalement conscient, maîtrisable à volonté, c’est même plutôt « un mouvement de l’âme », bien mystérieux au demeurant : une sorte de cuisson alchimique qui se fait en partie en dépit de soi, tout en réclamant :
- tantôt à hauts cris aux travers d’humeurs incontrôlables que nous nous en occupions avec le plus de régularité et de constance possibles,
- ou à bas bruits, au travers d’un malaise diffus, d'une culpabilité à n’être pas plus présents à nous même, aux engagements moraux pris, à l'acte d'écrire…

Il se lève alors en nous des angoisses. Et s'éveillent les soucis, les tourments intérieurs de tous ordres qui font beaucoup parler les auteurs et se plaindre un Winston Churchill : « L'écriture est une aventure. Au début c'est un jeu, puis c'est une amante, ensuite c'est un maître et ça devient un tyran.» 

Les grecs connaissaient déjà nos souffrances et nos émois, 
nos enfers,(Les fantômes de l’Hadès) et ils révéraient en le redoutant Chronos (dieu du temps), tout en gardant au chaud dans leur cœur, une attention à Caïros, (Dieu du moment opportun). 

Nous sommes tous confrontés dans notre temps de création littéraire à ces deux premières «divinités », il nous faut gérer Chronos, le fond métronomique des attentes sociales, des urgences et exigences extérieures chronophages et centrifuges et puis gérer l’ Hadès, le tiraillement entre l'envie et le possible, la volonté et la réalité, la qualité du temps tel que nous le vivons, tel qu’il nous apparaît dans son sens, son goût,...ce temps centripète, celui qui nous ramène à nous même, celui où s’éveillent nos impatiences et nos frustrations, nos ravissements et nos plaisirs.
C’est lui, aussi, qui fait de nos heures inspirées des temps toujours trop courts, et de nos heures sans peine de stérilité créatrice, des moments sans gloire, ces bagnes sans nom, où nous quêtons les sourires de nos codétenus pour oublier notre infortune, les approbations de nos proches ou de nos « fans-amis » :
- pour raffermir notre propre foi en nous,
- oublier nos indigences petitement humaines, voir la peur de notre stérilité honteuse.
Ne rions pas, l’affaire est sérieuse et nous en sommes tous là !
Ce n’est rien de dire que nous avons à faire pour tenir ensemble la bride à ces deux impérieuses réalités du temps créatif.

Parfois, pourtant, il y a aussi et heureusement, ce temps de gloire et peut-être est-ce cela le véritable temps de la création, ou peut-être celui du chef d’œuvre, (ou du moins de l’œuvre la mieux réussie possible). En tout cas, semble-t-il, il semble s'agir du plus haut que l’auteur (écrivant) puisse atteindre... quand Caïros est chevauché.
Moment de grâce, quand le créateur (l’écrivant), se sent le Dieu lui-même, lorsqu’il a traversé le miroir, devenu un avec son monde (intérieur), ou libéré de lui par un dépassement :
- un avec les appels ou les silences de l'extérieur,
- lorsqu’il écrit dans le silence de son âme d’ordinaire tiraillée, déchirée et lorsqu’il sent que Chronos n’est plus une gêne (que le temps manque ou non !)
Il surfe en état de grâce sur la crête d’une vague porteuse où il pourra faire coïncider le temps qui passe du métronome et celui de sa progression intérieure, de sa liberté , de son sentiment d’infini dans l’unicité des instants qui se suivent et se créent sous sa plume.
Ici pour une heure, ou le temps de son travail, il a oublié tous les temps possibles, (et jusqu’à l’autre pour qui il écrivait...)
Parce qu’ici, il est devenu plus plein, plus entier, différent et lui-même pourtant, porté par un oubli de soi et une plénitude qui lui ont donné d’être vraiment, d'être sans bordure: dans le mot, la phrase, le texte qui libère, la structure qui construit, l'émotion mise en tension qui le grandit....
Plus tard, après le point d’orgue final, il se retrouvera sur la grève du temps ordinaire, un peu différent… un peu plus grand de ce qu’il ne connaissait pas de lui-même…. et ce nouveau moi ne se limitant plus tout à fait à cet ego tourmenté qu’il fut...
Du monde et de lui, il aura su donner un peu un autre visage....

Et de son bain dans l'infini du silence créateur, il aura ramené un peu de cette liberté, qui l'appelle à écrire et l'a, un temps, libéré du temps.

samedi 7 septembre 2013

Aphorismes autour de l'eau, de l'âge et du lentement mourir...

Dans ma marche silencieuse au long des chemins, m'assaille soudain, avec une netteté nouvelle, le son d'un ruisseau grossi de pluies récentes. Et mon esprit comme mes lèvres s'éveillent à un sourire: car dans ce couler sonore du ruisseau , dans les variations même du glouglou fuyant et  régulier se réverbère un sentiment sans douleur que la vie et le temps filent, indifférent à mon sentiment.

Il clapote à mon oreille qu' il me faut laisser aller.



On ne retient rien de soi-même, on ne fait jamais que passer....... 
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-  Qui "parle" de vivre est déjà mort dit en moi le sage.
- Le temps file... et nous avec, confirment les mystiques du zinc d'à côté...

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J'ai simplement marché sur les chemins à vivre,
Il y a si peu à en dire, mais j'ai goûtée déjà la douceur que l'on apprend de la perte du vouloir de la puissance. 
 Ces abandons me rendent moins douloureuse la perspective d'aller vers demain: puissé-je être un bon "vieux", puisque je n'aurai été qu'un potable jeune,

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J'ai avalé quelques louches de potions amères, et debout, assis ou couché, reçu de face les vagues incontournables de Dame Souffrance. 
Elles sont d'expertes maîtresses. 
Avec elle, j'ai généreusement flirté,  et tiré .... quelques leçons.
    -  Vivre vraiment  naît souvent de l'art de se taire. 
    - Toucher le réel devrait surgit maintes fois d' un acte de respectueux silence.
    - L'homme, animal pensant, ne sait pas assez goûter du jour, ce que celui-ci lui donne, 

    - Il est toujours trop dans la demande d'un peu plus... ou d'un peu moins, toujours d 'un plus parfait mieux.

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    Il m'aura touché l'humble soutien, que les vieux se donnent, parfois, s'ils ont assez bien vécu!
                                              
J'ai découvert, comme on goûte une eau fraîche, que l'on craint, l'interdépendance où nagent, incertains et reconnaissants, bien des couples dans leur grand âge .

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Oui, j'ai fait déjà ces quelques premiers brasses en eau d'humilité, et si ce grand drôle d'Alexandre Jollien ne l'avait déjà fait, j'aurais eu, moi aussi, envie de l'écrire son "Eloge de la Faiblesse".

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A l'exemple de nos aînés, s'ouvre, en général,  à chacun de vivre une étrange histoire : la vieillesse et la mort .... notre futur annoncé.
                                                                             Ne reste plus qu'à trouver la Voie qui conduit au dénuement accepté.
Mes amis!
Si vous le pouvez, dites moi, à l'heure nécessaire,  où la chercher!

Je me remettrai en route et vous suivrais .... si je puis.

                                                                             ---------------------------------------------
Serge De La Torre

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samedi 10 août 2013

Être et responsabilité


En apparence, il ne changerait que très peu, que nous soyons ou ne soyons pas, que nous ayons été ou ne l’ayons pas. 
Mais nous sommes et sommes en droit d’être. Peut-être avons nous même la responsabilité de ce peu .

lundi 5 août 2013

INVITATION AU VOYAGE





« Je salue tous ceux qui savent partir, sans s'enrichir en rien des beautés qu’ils admirent… sinon au-dedans. Je salue aussi ceux qui savent que l’on peut même piller la misère des autres, et savent ne pas le faire .»



On m’invite à parler du voyage, à donner des mots sur cette expérience singulière du « partir et du vivre ailleurs », du périple vers ce continent que l’on nomme « autre que l’ici ».
J’ai lu, aujourd’hui, (était-ce un hasard ?) cette citation de Proust :
« Le seul vrai voyage serait d’avoir les yeux de l’autre. Par l’art seulement nous pouvons sortir de nous ».
Proust répond en écho, à cette autre histoire que j'ai rencontrée, il y a plus de 40 ans :
  « Un homme cherchait la sagesse et pour cela courut le monde en quête d'un guide sur cette voie. Et notre homme alla, et alla, et fit plusieurs fois le tour du monde.
Pour finir il revient chez lui, meurtri, découragé, penaud.
C'est alors qu'on sonna et l'homme qui se tenait derrière sa porte était celui qu'il cherchait...
Il était enfin prêt à le reconnaître et le recevoir. »
On ne parle pas à tors en anglais de trip. Good trip ou bad trip, et il ne s’agit toujours que d’un voyage « intérieur ».
Dès lors, je dirai facilement que l’on voyage dès que l’on se met en posture de recevoir le monde et il n’est pas besoin pour cela d’aller forcément bien loin.
J’ai fait de formidables voyages en lisant, d’autres en ne sortant simplement que de chez moi, d’autres encore en m’ouvrant plus que d’ordinaire à ce que je n’avais jamais reconnu chez autrui .
Si un bon livre m’est un fantastique voyage, un rêve aussi, ou un silence, de même qu’une musique.
Une belle marche, peut devenir un temps de grande oraison. Je dirai aussi qu’un sacré voyage commence lorsque l’on se met en position d’écrire.
Toutefois, j’ai fait quelques petites expériences dans le domaine du voyage « véritable », jamais dans d'aussi extrêmes conditions que celles d’un Nicolas Bouvier ou d’une Alexandra David-Neel. Saurions-nous encore aller dans l'absolu où chacun d’eux s’est engagé? Sommes-nous capables de ce dépouillement, de cette mise en abîme absolue.
Le monde se prête-t-il encore aujourd’hui à des périples tels qu'il et elle le décrivent ? 
Ma plus riche expérience dans ce domaine du voyage fut un périple, en Roumanie en compagnie d’un peintre natif (beaucoup artiste, un peu aigrefin), ainsi que de sa compagne et muse Helena. En voiture, il y a plus de cinq ans. Il m’a conforté dans l’importance du plus simple, dans l’expérience du respect de l’autre.
Il parlait un français imagé, métissé d'une culture gigantesque et de la maîtrise de plusieurs langues.
Il m’ a offert l’amour de son pays, la diversité de ses paysages et ce qu’y vit ce peuple complexe et composite, ainsi que le regard qui l'anime et alimente son art. Il m'a ainsi montré :
  • que l'essentiel en l'homme transcende et les cultures, et les religions,
  • que finalement si je voulais trouver l'Autre ( dans la force et le courage, dans l'adversité et le dénuement....), c'était en moi (dans ma culture propre, dans mon chemin de vie qu'il me fallait les trouver).
Depuis ce voyage marquant à de nombreux titres, je tiens à ne rester que le moins possible un ordinaire collectionneur des beautés du monde, je préfère être témoin du vrai, partout où je le vois, de l’humain chaque fois que je le rencontre. 
Ce monde auquel m’ouvre le voyage, rien ne peut pourtant me le faire accepter en l'état, et je ne peux le changer seul.
Je le soigne et l’admire; de ma porte, l’aime et le souffre.

Car il n'est jamais loin, le monde : le plus souvent juste là….. chez mon voisin.

jeudi 25 juillet 2013

J'ai fait cette découverte ce matin, j'écris par amour.

J'ai fait cette découverte ce matin, j'écris par amour. 
C'est à la poésie que je rattache mes plus anciens souvenirs de tendresses, tendresses maternelles.
A l'école, le poème scolaire a toujours été, pour moi, lieu de grands bonheurs. 
Non pas que j'ai été grand versificateur dans mon enfance, ni ne le soit devenu depuis d'ailleurs, malgré le fait je m'y sois, durant bien des années, essayé .
C'est plutôt qu' à côté des vers qu'on nous faisait apprendre, il y avait des illustrations à réaliser.
Hélas, j'étais piètre graphiste! Si j'avais déjà bien du mal avec la plume sergent-major dont on usait à l'époque, je dessinais plus maladroitement encore. 
C'est pourtant cette irréductible tare qui m'amena aux plaisirs de la langue rimée et pour un temps auprès de ma mère.
Elle, la cardeuse en usine, fille de paysans, avait si profondément pitié de moi, qu'elle faisait presque avec plaisir mes dessins. 
Elle était illettrée (ou si peu s'en faut!), il faut dire que le peu d'école qui lui fut jamais possible en ces années de guerre, elle le fit en deux langues toutes deux étrangères.
Elle, qui ne parlait à la maison que le rugueux patois de l'Alsace paysanne, s'y trouva (comme beaucoup dans cette région occupée par les uns ou les autres au gré des courants changeants de l'histoire du dernier siècle), dans la cour et sur les bancs de l'école , à l'oral ou à l'écrit, interdite tour à tour de l'une (la langue de Molière) puis de l'autre (celle de Goethe ou de Rilke).
Elle avait gardé, des maîtres impossibles d'une école qui ne lui avait guère donné, une graphie tremblante que je voyais se ratatiner, peureuse et prudente, sur les étiquettes de pots des confitures qu'elle confectionnait avec beaucoup de sucre et de doigté, dans d'immenses casseroles baveuses d'une écume odorante, en été.
A chaque poème donné à « décorer » comme on disait entre nous, elle savait attendre, avec patience, que je le lui lise. 
Et, vite d'accords, sur ce qu'il convenait de représenter, elle dessinait ravie et appliquée.
 Elle me sauvait de l'inévitable honte d'une piètre note appliquée par les scrupuleux censeurs des savoirs qui sévissaient ces années-là, ainsi que des sarcastiques sourires de tous mes camarades mi-peinés, trois-quarts ravis.
Naïvement, sans fierté, mais avec le sentiment de pouvoir enfin m'aider à quelque chose à l'école, enrichissant son esquisse grise de mille coups de crayons de couleurs pleins d'hésitation, elle faisait naître, du blanc de la page, des chèvres plus vraies que celles de Seguin : il faut dire qu'elle en avait gardées plus d'une, elle pouvait donc bien les rendre.
Elle réveillait aussi du néant de mes cahiers, des dormeurs du Val plus rouges de sang à leur vareuse que de vrais morts au combat : il faut dire qu'en 1940, il s'était bien couché là, son frère (dans un Val, quelque part du côté de Reims) ...
Quand aux rivières gloutonnes où l'on se noie pour inspirer son grand-père prince des alexandrins romantiques, nous y allions baigner le dimanche et les tombes des cimetières, elle en connaissait quelques unes qui valaient bien celle de Léopoldine que Victor Hugo tenait à « fleurir d'un bouquet de houx vert et de bruyère en fleurs, là-bas, au loin, du côté d'Harfleur ».

Oui la poésie ! Je n'en écrivais pas encore, mais je l'aimais déjà.
Elle disait selon moi, le beau, le triste, le doux, la guerre et l'absence... tant de choses diverses et contradictoires dont elle savait donner l'image, et qui nous parlaient à tous deux de paysages infinis, qui avaient le charme de traits incertains et naïfs : ceux, particuliers, d'un amour exprimé dans la connivence autour de quelques poètes.


dimanche 21 juillet 2013

Sillons



Nous ne pouvons pas tous laisser de profonds sillons aux champs  des littératures ou aux Panthéons des gloires humaines, mais notre siècle aura multiplié les espaces où partager vite et loin nos modestes contributions à la conscience collective .

Nous ne changerons pas tous la face du monde académique, ni celle de nos cultures, encore moins sans doute le cours majoritaire des choses, mais nos petits espaces d’échanges où courent nos folles envolées vagabondes ou nos mûres et conscientes élaborations partagées, seront peut-être, par le plus pur des hasards, les pierres où d’autres appuieront leur démarche.

A l’aulne du périple qui conduit à faire, collectivement, le tour du monde, le premier pas a-t-il moins de valeur que le dernier ? Le dernier serait-il, s’il n’y avait eu le premier ?

samedi 13 juillet 2013

La vie est une terre de miracle

Non, je ne deviens pas fou.
La retraite, pas plus que toutes ces années au travail, ne fera de moi, ni un saint, ni même un plongeur en eaux bénies.
Un vieux un peu sage? Peut-être! Dans longtemps! Il ne me déplairait pas.

Pour l'heure simplement, je tiens pour miraculeux ce qui me touche, ce qui m'arrive parfois, quand je n'attends rien et m'en retrouve bouleversé pourtant : rationalité cul par dessus tête, évidences cabossées .... 

J'ai vécu ce paradoxal bonheur (je ne me l’explique pas!), de vivre mon départ à la retraite comme un enterrement éprouvé de mon vivant. Quelque chose comme un retour sur investissement vital.
Je ne vous dirai pas tous les détails de ces jours, juste une grossière synthèse de mes impressions. Elles vous importeront, peut-être peu aujourd'hui, mais j'aime à penser qu'elles vous aideront, (un peu, qui sait!, bientôt!) à vivre les yeux mieux ouverts vos propres et originaux passages. De  ces années vécues au travail me sont revenus au visage le cœur que j'y ai mis, ou mieux le cœur de ce que j'y ai mis, souvent ou le plus souvent, sans m'en rendre compte. L'essence m'en a été rendue. J'ai fait le deuil d'un vécu, pu passer à un au-delà. 

Huit jours plein sur le thème.                                                          
Premièrement; nous avons accompagné jusqu'au sommet d'une montagne un ami avec qui j'ai travaillé à l'Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique, et qui partait « en retraite » : une tranche de vie à revoir, pour lui comme pour moi, en flashbacks. Une surprise de taille qui lui a été faite: cinquante personnes venues par divers chemins, rassemblées pour un pique-nique géant tiré des sacs.                                           
Mes propres collègues, deux jours plus tard, qui ont su avec plénitude et finesse rendre le sens de ce qu'ils ont perçu de mon engagement à l'ouvrage durant ces dernières années. Enterrement joyeux aussi! De quoi réjouir Brel quand il chante "Le moribond ».                                                                                             Oh ça, oui, on a bien ri.                                                                                                                                                                                    Les drôles ont été jusqu'à filmer dans les tiroirs de mon bureau, des boites de choucroute et de bon vin d’Alsace qu'ils y avaient mises.                                       Jusqu'à nous mettre une collègue et moi en compétition évaluative, tous les deux ridicules et heureux devant notre public.                                          Nombreux étaient ceux que j'avais perdu de vue, et qui ont répondu à l'appel  du dernier verre. 
          Et ma famille au complet, enfants, gendre, petit-fils et épouse à faire chorus et à m'offrir une bien émouvante chanson.                                                                                                                                                    Oui, de quoi faire le bilan ! Une soirée, pleine de musique : dehors, dans les gazons de l'école, sous  le feuillage des arbres bercés de brise, soutenu par un buffet richement garni.                                                                                                                                                                                      Chambré durant huit jours sur le thème: " Souviens-toi!" et  mille cadeaux d'adieu, pour me dire: " Va, vis, prends du bon temps !".
Et puis ce dernier jour! Comment défaire avec douceur, le fil des habitudes, du partage dans l'action, le fil des attachements et des responsabilités à assumer jusqu'au bout et puis à oublier demain. 
Ne me restait-il qu'à pleurer!? 
J'ai choisi d'en rire, encore. Vêtu, le matin, du costume sérieux de ma fonction, toutes les deux heures sous les yeux éberlués et rieurs des élèves mais surtout des collègues, je me suis allégé d'un effet. J'ai fini le jour; en short, tong, couronne de fausse fleur au cou et chemise hawaïenne. Des enfants  dessinant des bêtises sur un tee-shirt fantaisie tagué "Desesperate headmaster" ou "Very important person of this school"  .                                             Mais le jour n'était pas fini, je n'étais encore qu'à la frange du sens des choses. Avec mille complicités, dont celle de mon épouse, fine cachottière, des élèves de ma plus riche année d'enseignement, s'étaient donné(e)s   rendez-vous dans mon bureau.  Quinze ans plus tard; avec la chanson que nous avions crée ensemble et enregistrée avec des musiciens professionnels. J'ai donc bu la coupe, jusqu'à l'heureuse lie, et passé en leur compagnie, une soirée mémorable  à égrainer les souvenirs, à m'entendre dire qui j'avais été à leurs yeux, et à voir où tout cela les avait conduit(e)s chacun et chacune.                                                                                                           Sur un nuage d'ouate, je suis  finalement rentré pour recevoir l'ultime message de ce jour extraordinaire dont j'ai à me nourrir encore. Une ultime surprise dans un paquet blanc: ce livre arrivé le jour même, envoyé par Yves et Doris, nos amis de jeunesse. « Un voyage immobile » de Matthieu Ricard avec le plus beau message: "Deviens encore! Tes plus beaux instants sont là devant toi à goûter chaque jour". Un objet  magnifique, des photos sublimes et ce message, ce rappel de l'essentiel sens de la retraite: se retirer vers le centre, vers ce qui compte. L’immuable changeant. L’impermanente et multiple unicité de l’Etre.                                                                                              Seuls ma famille et de rares amis auront su totalement porter cette essentielle indication: l'importance de ce contact participatif que j'ai avec cette nature qui commence chez nous à ma porte, la méditation où elle me conduit généralement, l'écriture (le lieu où je m’efforce de la dire), et au travers de tout cela  la définitive quête de l'essence des choses.


"Entrer dans son cercueil", disent les moines zen de leur exercice de méditation. Je vais finalement à la retraite, comme on fait un premier pas, j'entre vivant et heureux en retraite, rien ne meurt en moi, tout se transforme pour un autre pareil. Je ne me retire pas d'un travail, j'entre dans un autre où je m'autorise à ne rien faire éventuellement pour le monde, à ne plus rien attendre, ni vouloir. Sinon goûter  peut-être à l'harmonie des choses, aux beautés du monde, à méditer ce nouveau rapport que j'ai à la vie.                 Sans doute, ne ferais-je, ce jour ou demain, rien d'autre que reprendre ce que j'ai toujours fait, parfois délaissé, ou cru délaisser .                                   
Je me rapproche pourtant de la source en suivant le grand fleuve où il va. Sous toutes les formes de l'eau, j'accepte encore de passer.

samedi 6 juillet 2013

Guide pour l'homme égaré






Et je craindrai sur l'autel de l'auto-promotion, d'oublier :
  • que je suis aussi faillible.
  • la conscience que j'ai de mes propres défauts, pour apprendre un plus juste chemin.
  • et même de reconnaître dans mes ratés ou les propos de mes critiques, ce qui me permettrait d' aller, plus justement, sur mon chemin.
    Et cela, à quelque gloire que je puisse me croire parvenu .

Je ne mettrais jamais :
  • aucune valeur, au dessus de ma quête de vérité, d'art et de justice,
  • aucune valeur, au dessus de mon souci de me connaître (dans mes grandeurs comme dans mes limites)
    Surtout jamais au dessus d'elles, je ne mettrai ni ma réussite, ni surtout l'argent que j'en voudrais tirer.
Je sais :
  • des millions de gens ordinaires, simplement honnêtes : tantôt bons, tantôt moins, mais que du moins protège le fait de ne point savoir, et je leur donne mon respect
  • je sais quelques parvenus, hommes de grands biens, qui n'ont rien voulu et tout reçu, que la réussite pourtant n'a point changé, que la vertu (le souci de vérité et de justice) guide encore : ils ont, eux aussi, mon respect, et doublement.
  • je sais quelques, bien plus rares, génies pauvres, de ces grands hommes qui préfèrent vivre sans le sou que se trahir, et au commerce refusent de sacrifier leur âme : je leur donne mon admiration, Ils ont, eux, fait le choix de la vertu, plutôt que celle de l'opulence, de la vie simple plutôt que celle de la vie en vue, celui de l'honnêteté plutôt que la renommée
  • ils existent aussi, les vereux aux poches plus ou moins pleines avec pignon sur rue, comptes en lignes et sites pleins d'éloges sur eux-mêmes. Ils usent de persiflages sur autrui, qui ne soignent que bien mal leur popularité, et, finalement, leur cachent les arrières plans de leurs propres actes. Prêt à tout, pour arriver à leur fin, pour apparaître aux yeux du monde dans un manteau couleur d'eau pure, pour faire disparaître ce qu' ils masquent dessous : leurs peaux de loup, leur manteau de nuit et leurs griffes rapaces.
Ils se parent d'écrans de fumée qui ne les illusionnent qu'eux-mêmes, et ne trompent leurs victimes qu'un temps.

Pour eux, tout est toujours guerre, car en eux ne se trouve pas de paix.
Ils se sont oubliés eux-mêmes, le jour où ils ont pris souci de soigner leur image, le jour où ils se sont mis à guêter anxieux les fluctuations de leur cotte de popularité, ou de leur porte-monnaie. Où ils ont cru devoir placer leur œuvre au dessus de leur personne, leur intérêt plus important que celui des autres.
Comme ils ont oublié leurs obligés derrière l'usage qu'ils en font et l'intérêt qu'ils leur rapportent, je les entends qui réclament encore pour eux-même:
- un droit au respect qu'ils oublient d'accorder,
- une parole libre qu'ils se ménagent sans la donner,
- un droit à être entiers qu'ils réservent à leur usage unique,
Ils se plaignent de ceux à qui pourtant ils refusent des chemins qui ne sont pas les leur ou ceux qui les enrichissent.
    Ils leur reprochent de ne pas savoir, quand on leur demande de l'aide, croit-il que chacun ne soit né que pour servir leurs désirs.
Et je dis qu' il n'est nulle position qui ouvre un crédit à pareille conduite, à un tel endormissement dans l'erreur : ni la gloire, ni l'argent, ni même la réussite.

Pas même la vertu n'y autorise ; au contraire elle oblige.
Toi, homme égaré !
Tu ne me dois rien, sans doute, et peut-être te dois-je beaucoup, mais un homme reste un homme.
Qu'il se croit grand ou qu'il soit petit.
Je ne te juge pas. Je n'en suis qu'à te regarder comme un semblable.
J'ai le temps de te comprendre, et même la patience de t'attendre !
Je te sais comme chacun.
Je te sais comme nous tous.
Je te sais comme moi, modelé de faiblesses, de besoins, de tentations absurdes et de volontés de puissances extrêmes : de ces égarements sans lumière que l'on nomme : illusions humaines.
Va ! Le temps nous apprendra !
Le temps nous apprend tout ! Au delà de la gloire éphémère, il nous enseigne l'humble mesure !


mercredi 20 mars 2013

ONCKR OU L'ÉVEIL DE LA CONSCIENCE DE SOI


Il me plaît à penser que l'homme n'en serait pas venu à écrire, s'il n'avait d'abord voulu s'écrire lui-même, dans son ravissement d'être, dans la perception naissance de sa finitude. 

Il a dû éprouver, un jour donné, la soudaine persistance de lui-même, quelque conscience aigüe de ses émotions... là,  dans ce monde vierge de sa main-mise.
Il a dû alors, vouloir en garder trace.

Dans les premières incises minérales qu'il a laissées de lui-même: simples griffures sur la roche ou autres cupules (points creusés à l'aide d'une roche dure sur une roche plus friable), il parlait déjà selon moi, le besoin (puis longtemps plus tard la volonté) de laisser quelque trace persistante de soi dans un environnement où nous ne sommes que des passagers clandestins. 

Ces pétroglyphes seraient nés de l'émergence de la conscience de l'homme comme existence autonome, unique en face de la réalité innommable et confuse, comme besoin de marquer le réel de la persistance consciente de sa finitude : conscience éblouie par l'Etre des choses, saisie du numineux vécu comme émotion.

 Oui l'écriture serait née là, de quelque conscience du sacré, de l'inconnaissable merveille de la vie.

Je me suis plu à en faire un imaginaire récit.


Dans les steppes de la plaine, tout le jour, il est allé.
Aussi droit qu'il a pû ! Afin de voir au dessus des herbes hautes!
Il a longtemps traqué la bête: une femelle de félidé à dents de sabre.
Il a tantôt attendu, aux aguets, puis d'autres fois couru.
Finalement il a combattu. Parmi les autres d'abord, puis seul, quand les autres se sont trouvés loin et hésitaient à s'engager. 
Juste pour manger, lui...et son clan!

Ce soir, dans la nuit qui vient, il s'est éloigné de sa horde, peut-être parce que quelque chose de leur regard mêlé de crainte et d'envie, lui reste et le trouble. Même isolé.
Il est jeune encore, et ils ont apprécié ses adresses, sa folie audacieuse.
Sur ce rocher en surplomb de la grotte commune, il se sent étrange, soudain, dans les derniers feux d'un soir qui tombe.

Parmi les bruits de la nuit naissante, l’hominidé entend ses congénères, qui s'agitent au bord du sommeil. Mais il reste, seul,  face au couchant.
Quelque part, au fond de lui, imperceptible encore, s'agite une ombre nouvelle, qui ne naît pas des ténèbres qui viennent sur la plaine, qui n'est pas née avec les ultimes flamboyances de l'astre du jour.
Une peur l'habite, qui s'ouvre sur un dangereux inconnu .
Ce presque homme craint cette nouveauté qui le hante, il la sent si pleine de dangers.
Quelle est cette faim étrange qui point quand le neuf s'éveille ?
Il se lève soudain, et hurle sa colère impuissante au vent, vainement.

"Ne pas fuir la bête ! Il est chasseur! Regarder la chose en face pour ne pas être surpris par elle! Il sait le faire."

Il pénètre dans un boyau de calcite, une niche voisine de celle qu'occupent les siens. 
Les derniers dards solaires l'éclairent encore et lui offrent pour guide un pâle contre-jour.
Là... il lui faut un courage plus grand même que celui dont il a, par exemple, fait preuve tantôt pour tuer cette femelle-tigre aux dents immenses. 
Elle avait été rabattue vers lui par ses frères, au fond du goulet rocheux, où il se tenait : il était resté, lui seul face à elle, crâne, malgré sa frayeur immense.
Pour finalement marquer sa victoire sur la tigresse, ce midi , il a ramassé une pierre couleur du lait qui tombe à la mamelle des mères. 

Elle est dure, la pierre, tranchante et pointue. Il la garde depuis, et la gardera toujours s'il peut. Son contact lui dira son exploit et sa force quand le gagnera la peur...
Ce soir, il lui faut oser. Une fois encore ! Sans témoins, et sans espoir d'aucune gloire !
Un face à face avec l'inconnu qui l'émeut. Il s'assoit sur un bloc de pierre, et ses yeux : il les ferme.
Les bruits familiers des autres se sont tus.
Ne restent que son souffle et cette galopade qui lui viennent de ce qu'il ne sait pas encore  nommer comme son cœur, ce trot emporté et régulier qui lui vient aux oreilles.
Il n'écoute plus que ces battements intérieurs.
C'est, par ces froissements, ces frôlements de l'âme et du corps semblables aux vagues et bruissements d'une proie inconnue qui court dans les herbes, que depuis quelques temps, il se reconnaît comme irréductible à ses semblables.
Oui, il est unique, au point de s'être donné un nom, en secret : Onckr.

Ce soir, c'est avec ce gibier-au-dedans qu'il cherche le face à face. C'est devant lui qu'il est prêt à fuir : Au dernier moment ! Peut-être ! S'il le faut ! S'il le peut !

La subreptice présence est si lointaine. Elle est patiente, et tapie. Sombre! Sans forme! Mais bien vivante, pourtant.

« Oh ! Oui ! autant que la tigresse blanche, cet après-midi!
Prête à bondir », craint-il !

Aussi, en fin chasseur, imperceptiblement, Onckr va vers elle, en lui-même, sur ses gardes. 
Mais elle est encore fuyante : la longue traque commence à peine.

«Avec cet animal-ci, sent-il, on ne peut ruser, il  faut attendre, plutôt qu'aller ». 

Il s'assoit plus profondément, et sa tête enfin se penche.

« On est petit, face au si grand ! »

Adieu, ses réflexes ! Adieu ses habitudes acquises. Il lui faut devenir autre.
Elle l'approche maintenant, cette intime chasseresse.

Mais, étrangement, la paix le gagne. Il prend finalement crainte que son souffle ne la fasse fuir.
Il n'ose plus lever la tête, ni trop porter sur elle, les yeux.
La bête, il en avait, tout à l'heure, une si incompréhensible terreur. Il la sent maintenant plus bénéfique que les langues du feu solaire, quand à l'aube, elles se lèvent et le réchauffent.

« Oui, elle est finalement lumière, celle qu'il craignait tant ».

Elle l'approche avec des yeux de douce femelle.
Les mêmes que ceux de celle qu'il aime tant à frôler, dans la horde,celle qui vit encore dans l'ombre de sa mère, celle pour laquelle il palpite quand la brise lui en offre les intimes effluves.
Celle qui, discrète, le guette, presque offerte déjà, même si elle n'ose encore le regarder vraiment.

A la grande bête ensoleillée de son âme, il veut donner un son, comme il s'est donné celui de Onckr
Le plus beau ! Un grognement qui dirait le sentiment complexe dont il ne sait rien penser.
Un  nom  qui voudrait dire :

« Peur, amour et respect. »
Il dira « Sacr ».

Par ce mot, il pourra penser ces troubles qu'il ne comprend pas, qu'il ne sait décrire ; ces vécus qui le sidèrent. Ce nom précieux, il le gardera, longtemps réservé, au seul secret de son cœur.

Puis Onckr se lève. La lumière en lui, s'est faite, chaude : elle le guide, elle a pris sa main.
Alors, timidement d'abord, puis de toutes ses forces, avec sa pierre de lait ramassée après son combat, il s'applique sur un bloc de calcite, à un trait malhabile comme un sacrilège.
Il trace une rainure qu'il reprend mille fois, il marque l'instant jusqu'à instiller dans la roche une souveraineté nouveauté : deux traces qui se croisent.
Et à côté d'elle, en frappant encore des milliers de coups, il grave la première cupule. .
Par ce glyphe humain, le premier que la terre ait jamais connu, il affirme à lui-même (et sans le savoir... jusqu'à nous !) qu'un pauvre chasseur, dans sa balourde démarche de bipède,
a osé entrer en lui-même, pour ouvrir les ailes au vent de son inspiration.

De quelques sons-mots aux significations incertaines, de deux signes-mots gravés dans la roche,
un homme a décillé la nature ou les Dieux. Il a osé donner forme à sa conscience, il a gravé un geste à sa propre mémoire. Il leur a donné une durée, une réalité au delà de l'instant .
 
Demain, peut-être, Onckr, porteur de cette première lumière, mourra-t-il dans sa course à la vie, mais ce soir : « Il a entrouvert la porte des limbes du temps, et puisé aux sources de l'infini cheminement de l'homme. »

dimanche 17 mars 2013

UN AUTEUR A-T-IL LE DROIT DE TOUT ÉCRIRE? (2)


Arts et violence, proximités scandaleuses : Premières réflexions autour d'exemples

Ne possédant pas assez de références dans la seule littérature de scandale, qui n'est que fort moyennement de mes goûts, je me permettrai un détour vers divers arts ou actualités qui interrogent une part de réalité sensationnelle, une confrontation à l'image choquante....

Le cinéma par exemple (surtout américain, mais aussi taïwanais et autre !).

Depuis longtemps, le cinéma US explore ou étale la violence de ses images, et l'horreur jusqu'à en structurer des genres spécifiques, et à, sans doute, en susciter l'actualité dans les écoles d'Amérique...

Littérature et cinéma, autour de Stephen King et de la mise en image de ses livres par exemple ont beaucoup joué avec l'émotion des spectateurs, et avec la fragilité adolescente : Carrie, Aliien ...
S'y sont essayés depuis ses origines, bien des auteurs, parfois des plus classiques au départ pourtant : exemple Roman Polanski avec Rosemary Baby : ils exploitent en scènes mémorables nos questionnements, mais aussi et surtout nos peurs, nos phobies.
Ce cinéma fait ses "choux gras" de nos appétits de violences, de nos soifs scandaleuses, de nos goûts du macabre et de notre besoin "expérientiel" d'émotions fortes : de plus en plus fortes, contrepoints à nos sens qui émoussent d'une trop riche alimentation en scènes réalistes et d'un luxe de sécurités et de sensorialités virtuelles possibles.
Pensons à Stanley Kubrick dans « Orange mécanique » ou à « Shining » et aux « Oiseaux » d'Alfred Hitchcock, et ce ne sont encore que les plus tendres.

(Pour les plus durs que le lecteur m'en excuse, je n'ai ni pratique, ni références suffisantes, pour le bien documenter!, je n'ai visionner pour cet article, et ne visionnerais pour lui, aucun «Massacre à la tronçonneuse», aucun « Bal des Morts-vivants »....).

Dans le domaine des arts plastiques, on se souviendra, il y a peu du choc suscité par des écorchés de Gunter von Hagens et de son exposition Our body/à corps ouvert, qui donnait à voir au nom de l'Art des tranches de corps véritables, et autres joyeusetés morbides à l'avenant.
 
En contre point, en littérature, des sujets qui eussent pu être terrible de descriptions et d'horreurs savent se négocier dans une mesure parfaite.

Je pensais dans une veine soft et maîtrisée à Marie Bourassa auteure canadienne qui a écrit un poignant triptyque « Le Maître des Peines » : histoire magnifique par son sujet, celle d'un enfant innocent mais férocement maltraité qui va devenir bourreau pour se venger d'un père si violent et cruel qu'il en a tué son épouse dans les bras de son fils, laissant celui-ci infirme, marqué à vie au plus intime.
L'auteure ouvre une riche réflexion sur les racines individuelles de la violence qu'on répète et sur le possible rachat du pire en l'homme, dans un Moyen-Age qui n'a rien à envier à notre sauvage modernité.

Le fantastique lui-même, globalement, mais le plus souvent avec beaucoup de prévenance, fleurte finement avec ces limites. L'on dit ainsi volontiers « merci » à Jean Pierre Andrevon lorsqu'il clôt sa nouvelle « la veuve », juste après la description des ongles crochus de la mariée et juste avant qu'elle n'en fasse durant la nuit de noces un usage qu'on pressent.

Et dans l’ambiguë bit litt, la gloutonne et sanglante morsure n'est elle pas le contradictoire signe vorace de l'amour castrateur et d'une prometteuse entrée en éternité.

Oui, art et violence se côtoient, s'aiguillonnent et veulent nous réveiller d’atones apathies, en jouant sur ces petits « jardins secrets » où nous tenons cachés « tant nos lilas bleus, nos fleurs des champs que nos immondices ».

Car les tentations des artistes créateurs, ne sont que les miroirs grossis de nos petits et sordides plaisirs (éros et thanatos mêlés en orgies scabreuses).

Les industriels du loisir et de la culture ne nous tiennent que par où nous voulons bien nous laisser prendre, assumant le plus souvent "éthiquement" et "mercantilement" ce que nous nous refusons à voir en face de nos mornes appétits ou refusons de refuser avec suffisamment de vigueur. Ne l'oublions pas !

Alors faut-il au nom de l'art tout aimer et accepter? 
ou 
Comment faire frontière, là où ne tient nul barbelé

Lorsque Tarentino dans Kill Bill asperge nos écrans d'hémoglobine à pleins seaux, est-on encore dans la sphère d'un art ? 
L'art du rouge et jaune sans doute ? 
Mais est-ce assez pour faire un chef d'oeuvre, quand le message en perd de faire sens ? Ne faisant plus que sensation.

Mais, rétorquera-t-on, n'a-t-il pas posé quelques scènes purement chorégraphiques à son interminable ballet de violences ?
Serait-il possible, de quelque façon, de justifier son choix d'ultra-violence par le seul esthétisme sanguinolent de scènes magistralement chorégraphiées ?

Ses choix de cinéaste sont-ils rachetés par la justification de sa volonté de mise en lumière de nos penchants réels ou encore par la justification dramatique qu'il fait de la violence exhibée dans cette histoire précise ?  (le massacre préalable d'une noce et d'un fiancé tant aimé)

Se protéger pour ne point censurer ?

Le cinéma comme la littérature, face à nos appétits ambiguës, ont été jusqu'à se créer des genres spécifiques : le film ou le livre d'horreur, le fantastique gore ou horrifique....

A défaut de faire mieux, de se poser quelques questions plus essentielles, du moins sommes nous prévenus du risque que nous prenons à les voir ou les lire.

L'horreur, l'apologie de la cruauté deviennent un sous-genre, à défaut d'être lus (parce qu'ils font industrie et commerce) comme plutôt un genre en dessous de la littérature ou du cinéma?


L'écrivain, comme tout artiste, tout homme : entre liberté et éthique .

Dès que nous parlons d'art, nous sommes aussi tentés de parler de ses limites , dès que nous parlons de limites, nous ne parlons de rien d'autre que d'éthique.

L'art se définit toujours dans le cadre d'une Weltanschauung (une image du monde), une lecture de la place qu'y tient l'artiste, à partir d'une anthropologie sous-jacente inévitable (une image de l'homme).

D'abord se pose la question de l'écrivain, de sa fonction, du sens de cet étrange métier qu'il pratique dans la société actuelle.

Oui, je l'exige : l'homme a le droit de tout dire. 

En théorie au moins, et dans le stricte secret de son seul dialogue solitaire : là, oui, intervient sa pleine liberté d'expression.

Comme dirait Pierre Mezinsky dans « Métier Ecrivain » : « UN ART QUI NE DIT RIEN , NE VAUT RIEN ! « « Ce qu'il a à dire , c'est ce qui donne à un écrivain de l'âme et du feeling. C'est ce qui lui donne sa force et son pouvoir de toucher les autres », «ça peut-être l'écho d'une souffrance héritée de son histoire personnelle, ça peut-être une vision du monde originale, intense, douloureuse....aussi cruelle qu'un traumatisme . Mais souffrance ou vision , le travail de l'artiste c'est de transformer tout ça pour en faire quelque chose d'idéal, quelque chose (...) de vertical. Sa vision du monde bouleversante doit bouleverser le monde entier».

Jean Cocteau définissait la littérature comme « un cri écrit » soulignant ainsi l'importance à donner au message, mais aussi à la responsabilité que nous avons de la forme qui lui est donnée.
 Car dès qu' un auteur s'exprime et communique, le voici responsable.

Il garde bien sûr ses pleins droits à la libre expression, à condition d'être encore dans son rôle, de pouvoir assumer ses mobiles, ses motivations en même temps que les effets qu'il produit sur ses lecteurs.

 Où se trouve le centre de son message, voir le centre de sa personne ?

«Il faut long entraînement de lecteur pour n'être pas mystifié, dupé, par de faux aveux, de fausses sincérités, de fausses visions du monde...Il est long à reconnaître le subtil vibrato en filigrane dans la voix, quand un auteur parle de ce qu'il connaît, de ce qu'il a vu, ce qu'il a vécu... Quand il n'est pas seulement en train de viser l'effet, de prendre une posture, de s'évertuer à imposer une idée de lui-même...» Pierre Mézinski

Il lui faudra avant d'aller plus loin, passer au tamis de son propre jugement éthique : or l'éducation de sa responsabilité personnelle peut être le travail d'une vie entière.

Il lui faudra accepter sa responsabilité professionnelle, autant que son désir de tout dire.

Il n'exerce pas dans un néant, et ne s'adresse pas à n'importe qui. 

Car oui, qu'on le veuille ou non, comme le dit encore Pierre Mézinski : « Le premier devoir de l'écrivain , c'est encore de faire attention à ce qu'il dit ».

Il ajoute encore : « Hélas, dès qu'on s'écarte du souci de la forme, le cri (le cri -vain?) de l'écrivain), devient vite n'importe quoi » « Durant les dernières décenies du XXème siècle, les auteurs ont décidé qu'il suffirait de tout dire pour que leur production soit de la littérature. (...) On aurait pu s'attendre à je ne sais pas moi – des secrets du monde ! Au lieu de cela, on a eu le plus simplet des exhibitionnismes.(...) c'était ça, le « tout dire ». Tout dire , c'était le nombril … ou plus bas. (…) Le vrai cri écrit, c'est autre chose. ».

L'écrivain crieur de vérité, ne peut se fourvoyer dans l'effet à trois sous, dans le plaisir narcissique de sa névrose et ne peut se complaire à y conduire à y vautrer son lecteur. Il a plutôt pour mission compatissante, s'il le peut, de l'en sortir.

Alors, finalement, peut-il en certaines occasions s 'avérer nécessaire de crier l’innommable ?

 La plus formidable logique dramatique dans une création pourrait-elle justifier l’extrême?
Sommes nous autorisés et en quel nom, à une quête d'un réalisme (impératif catégorique).
L'ellipse, la suggestion bien pensée ne peuvent-elle pas, comme dans « le Maître des Peines de Marie Bourassa ou La Veuve d'Andrevon dans « Ce qui vient de la nuit » suffire à dire, et servir le propos.

Au nom de quelle mission nous donnons nous quitus d'un partage réaliste maximal avec le lecteur. N'avons nous pas plutôt l'obligation morale et autant que possible à l’ellipse suggestive qui dirait tout autant sans trop obliger à montrer, à subir le voir?

Ce qui pour moi validera toujours plus la démarche d'une auteure comme Marie Bourrassa dans son triptyque par rapport à un Stephen King des premières œuvres, ce n'est pas sa seule violence des images qu'ils suscitent ou non, c'est le lieu où se situe le centre de l’œuvre et plus encore la réflexion de son auteur : 
Ce qui motive la structure de sa réalisation, ce qui sous-tend son écriture. 

En fait non pas la seule œuvre, mais l'humanité de son auteur .
« Vivons humain et après, peut-être écrivons !» P. Mézinski

Avant tout la portée ou la hauteur de sa réflexion sur l'homme!

Avant tout la hauteur de son humanité et de son respect pour ceux et celles à qui il s'adresse, ceux et celles dont il parle. 

Car celui qui parle de cruauté, celui qui se plaît à la souffrance qu'il expose, même pour quelque raison qu'il justifierait par un souci de réussite littéraire ou de pédagogie du public, sait-il qu'il ne fait jamais au mieux que répéter ce que d'autres ont réellement vécu ?

Être auteur, serait parfois montrer le chant des bourreaux ? C'est le plus facile !

Ce devrait être aussi le chant du respect de la mémoire et l'honneur des victimes, de tous ceux qui voient de trop prêt ce que par jeu, nous autres auteurs, serions si facilement prêt à jeter aux visages de nos lecteurs.

Finir sur une histoire vraie
Je me souviens d'un parent assez proche, entré dans notre famille par alliance.
Cet homme, instruit, a couché pendant prêt de dix ans, avec pour seul couverture la jupe sanglante de la mort.
Il a survécu à trois années de Guerre d'Espagne, à la faim, et la misère d'une lutte inégale et sans pitié.
 Puis à la vie dans les terribles camp de réfugiés du sud-Ouest de la France, où mourraient faute de soins, d'hygiène et de nourriture suffisante la moitié des prisonniers (car c'est bien ce qu'ils étaient: interdits de sortir, et sans aucune assistance extérieure durant de très longs mois) .
Il s' est engagé, alors, s'opposant à la dictature nazie alliée de Franco, dans l'Armée Française.
Pour elle, sapeur dans le génie, ne pouvant combattre, en un an, il a creusé et bouché, selon les circonstances, plus de trous, de tranchées et construit plus de ponts de fortune, que je n'en ferai jamais.
Puis fait prisonnier par les Allemands, de 1940 à la Libération, il a survécu comme il a pu, à Matthausen, dans les camps de la mort, côtoyant l'inhumain et l'effroyable: là où un bout de pain perdu ou donné de sa maigre ration journalière, le froid, une plaie purulente ou un virus pouvaient vous condamner à mort, aussi sûrement que l'arbitraire des gardes SS ou des Kapos.
Oh, il n'était sans doute pas vraiment un grand héros, ni sans doute un ange (malgré son nom Angel), seulement le plus simple des hommes droits que j'ai connu.
Pendant tout le temps que je l'ai fréquenté, de tout ce vécu,

ce militant, 
cet homme actif et ardant défenseur, jusqu'à son dernier souffle, des droits de ses semblables, 

il ne nous en a rien dit.

Lui l'orateur reconnu dans toute l'Ile de France..

Son entourage, parfois seulement, nous expliquaient ses silences, et ses larmes sèches.

Il a fallu que l'une de ses filles Véronique Olivares Salou, historienne de la guerre d'Espagne écrive, il y a quelques années à partir de rares récits ou surtout de ceux de l'un de ses amis de périple, un timide et poignant livre «Vieux compagnons dont le cœur est à la douane »  étayé de toutes  traces écrites laissées et retrouvées sur son chemin de combat et de peine, pour que j'apprenne, qui il a été et ce qu'il a connu, durant toutes ces années.

Lui, le militant anarchiste et anti-franquiste ballotté par les monstruosités de deux guerres du dernier siècle, de deux dictatures et de beaucoup de cruelles indifférences, avait le droit de dire l'horreur.

 Et il n' en a rien fait (ou si peu) et à son seul ami déporté lui aussi.

S'il s 'était senti le droit d'en accabler ses semblables, assurément, il ne l'eut pas décrite comme une merveille sanglante chorégraphiée par un génie (même fou).

Il savait lui le poids du « cri vain » ou la portée de l' "écrit-vain" et de la réalité vécue.

Ses bras nus où saillaient ses veines et son matricule indélébile parlaient pour nous (enfants) un langage encore incompréhensible et hors les mots, mais  plus bruyant que le Silence des Agneaux : celui des témoins tristes (marqués à vie) et survivants .


Image : "Sex Crime Variation 2" by Joe Machine From [http://www.stuckism.com/GFDL/Machine.html]. Permission on that page: http://www.stuckism.com/machine/index.html Copyright © Joe Machine, stuckism.com. Released under GFDL.