«Libellule, gracile, brins d’herbe sèche;
Frrrt ! La vie a la transparence d’une aile".
Serge De La Torre
Dans le chant de la cigale
Qu’elle est près de sa fin.
Qu’elle est près de sa fin.
Matsuo Bashõ( 1644-1695 )
Prenons une image, une photo, un tableau, l’ambiance d’un
moment ! Osons autour de son contenu le texte court, très court, non pas
minimaliste dans sa composition, (au
contraire !), mais dans l’analyse détaillée qu’on fait du support, en
évitant précisément l’exhautivité de l’analyse
des détails de l’objet, pour mieux saisir
l’essentiel de l’émotion à laquelle il nous conduit, ou l’essentiel brut ou
conceptualisé de ce qu’il nous donne à voir.
Kobayashi Issa ( 1763-1828 )
Quoi ! Faire, en somme, des haïkus ? Mais nous ne sommes pas japonais, ni tournés,
en esprit, comme eux.
Chaque fleur qui tombe
Les fait vieillir davantage
Les branches de prunier !
Les fait vieillir davantage
Les branches de prunier !
Yosa Buson ( 1716-1783 )
Prenons
dans un salon français une de ces
petites cloches japonaises, faisons la sonner.
Question :
le son est-il japonais ou français ?
Ni
l’un, ni l’autre, bien sûr !
De même le haïku, il n’a
rien de japonais, c’est un exercice, pour certains un idéal, pas un nécessaire.
Mais écrire court, c’est s’adonner
à l’exercice de la concision, de l’observation de l’essentiel, sinon de
l’universel dans les petites choses.
Nuit brève
Combien de jours
Encore à vivre.
Combien de jours
Encore à vivre.
Masaoka Shiki ( 1866-1909 )
Alors haïkus ou pas (Formes
plus libres), essayons de voir ce que cette recherche, ce regard poétique
spécifique sur les choses a à nous apporter. Approchons de l’extrême pour
améliorer le plus simple et l’ordinaire.
Prenons précisément l’exemple du haïku !
Un bel exercice ! Exercice difficile, pratique
extrémiste, soit , mais encore ?! Les moines japonais tout à leur
intériorité et leur sagesse, en faisaient un signe de maîtrise du verbe, de
clarté du regard et de sensibilité retenue. Comment y parvenir ?
Relever les émotions éprouvées
dans la composition des choses, la spécificité du moment qui passe, qui
émerveille ou bien qui étonne.
C'est dans sa rigueur extrême, une forme d’expression
très concise, dix-sept syllabes en trois vers (5-7-5). Dix-sept temps en
japonais (une syllabe peut avoir soit un, soit deux temps), les règles du
haîku ont évolué en s’internationalisant, par exemple l'anglais
s'accommode de 3-5-3). Mais l’un des maîtres du haïku japonais avait déjà dit,
il y a bien longtemps: "Les formes
sont faites pour que l'on s'en écarte. Et pour s'en écarter, il n'est point de
recette toute faite." (Bashô).
Toujours est-il que le haïku s'élabore et se
retravaille. Il s'écrit généralement en un instant du moins pour ce qui est
d’un premier jet, la spontanéité est donc à ce stade très importante. Sans
travail de construction conscient et laborieux pour cette phase de première écriture. C'est
toujours le fruit d’un moment d'étonnement, d’une situation que l'on
note : l'expression d'une épiphanie (le "aha moment" comme ils
disent).
Mais le haïku moderne respecte encore moins
les règles (tant pour ce qui est du fond, que de la forme) que le haïku
classique. Il est souvent moins détaché de l’appréciation de l’auteur qui y
semble plus agent présent ou sujet de l’émotion vécue.
"Le haïku, poème bref, une
poignée de mots, en effleurant la surface des choses donne à sentir l'indicible
profondeur de l'expérience humaine, saisie dans l'éternité de l'instant
présent. Il traduit le talent du poète à saisir le merveilleux au cœur de l'ordinaire,
l'absolu au cœur du relatif, le sacré au cœur du profane. Il met en évidence un
détail, un échantillon du monde, qui résume le tout, signifie le tout, donne au
tout sa profondeur."
Hervé Collet in 'Le maître est parti cueillir des herbes'
Hervé Collet in 'Le maître est parti cueillir des herbes'
Avec un comptage plus libre des syllabes, on
se contente par exemple d'une alternance court, long, court ou de trois vers ou
l’un se détache dans sa rythmique de ceux qui le précède.
Préparés pour les
sarcophages,
De blanc tout emmaillotés:
Ni mains, ni pieds, ni visage.
De blanc tout emmaillotés:
Ni mains, ni pieds, ni visage.
L'auteur peut ainsi choisir librement sa
présentation, non sans oublier qu'il est plus important d'émouvoir que
d'obtenir impérativement 17 syllabes. Dominique Chicot .
Il continuera tout
de même d’écrire au présent, de mettre en évidence l’essence de l’objet du
poème, ou la quintessence du sujet. Il tentera de traduire son vécu émotionnel
ou esthétique, hors mise en concepts logiques de ses émotions. C'est un
ressenti suggéré, partagé.
Deux ou trois tableaux 'parallèles'
qui se complètent et se renforcent mutuellement, deux images, apparemment
distinctes, mais mises en comparaison par l'ajout de la troisième image, deux
images qui s'opposent à la lecture de la troisième… (Dominique Chicot)
Et pourtant : "Rien de plus que la saisie
éphémère d'un instant : prêt à être oublié, à jamais inoubliable." Maurice
Coyaud
Dans le buisson,
Dans le buisson,
Des yeux
De chevreuils ou de papillon.
Ces moments
Ou rien n'est intercepté.
De chevreuils ou de papillon.
Ces moments
Ou rien n'est intercepté.
Eugène Guillevic ( 1907-1997 )
Le
sujet en perdra souvent sa référence
saisonnière ou naturaliste.
Des assiettes peintes
Dans l'âtre des poulets rôtissent
Ah! la bonne auberge!
Dans l'âtre des poulets rôtissent
Ah! la bonne auberge!
Paul-Louis Couchoud ( 1879-1959 )
Un enfant qui prend le
frais
Me regarde veiller
Ma soeur dans son cercueil.
Me regarde veiller
Ma soeur dans son cercueil.
Moppo Tomita ( 1897-1923 )
La rivière
De diamants
N’a pas de lit.
De diamants
N’a pas de lit.
Malcolm de Chazal ( 1902-1981 )
(Poète mauricien)
Ecrire court, très court, c’est comme
composer des haïkus, c’est chercher « à déchirer la surface du quotidien d’un
coup de fouet, en faisant claquer la cravache des mots » Alain Kervern (Auteur
en Français et breton, traducteur du japonais, né à Saïgon en 1945)
Ecrire court, très court,
la syntaxe doit être simple:
on limitera par exemple l'emploi des articles (Ils n’existent pas en japonais), on évitera même les rimes (le haïku n'est pas composé de vers rimés, comme on l’entend en français), on usera parcimonieusement de l'emploi de verbes ou d’adverbes même si P. Costa souligne que celui-ci « permet de condenser une idée à sa plus simple expression, et si certains détiennent une force émotionnelle poétique" (P. Costa). On n’abusera pas des qualificatifs de nom (un maximum par nom), on évitera les redondances d’observation, mais pas les répétitions (puisque celles-ci peuvent renforcer votre 'histoire'). On se gardera même de trop de métaphores.
on limitera par exemple l'emploi des articles (Ils n’existent pas en japonais), on évitera même les rimes (le haïku n'est pas composé de vers rimés, comme on l’entend en français), on usera parcimonieusement de l'emploi de verbes ou d’adverbes même si P. Costa souligne que celui-ci « permet de condenser une idée à sa plus simple expression, et si certains détiennent une force émotionnelle poétique" (P. Costa). On n’abusera pas des qualificatifs de nom (un maximum par nom), on évitera les redondances d’observation, mais pas les répétitions (puisque celles-ci peuvent renforcer votre 'histoire'). On se gardera même de trop de métaphores.
Certains verront
là des contraintes quand il ne convient d’y voir qu’une discipline
structurante, un chemin de simplification du regard et de l’écriture plus que d’interdits
et un auteur de haïku ou d’écrits courts vous enjoindra toujours à préférer
écrire et partager vos émois, qu’à respecter des conseils de style trop rigides
qu’il verra toujours comme simplement indicatifs.
Le proverbe
chinois ne précise-t-il pas que « Quand le sage désigne la lune, il faut
être sot pour s’arrêter au doigt »
La preuve en
est qu’il n’est rien, de plus provocateur, parfois : que le texte très court ou le haïku :
Des bites et des chattes
En train de bouillir
Affluence au bain public.
En train de bouillir
Affluence au bain public.
Taneda Santoka ( 1882-1939 )
Par un pet de cheval
Éveillé
J'ai vu des lucioles voler.
Éveillé
J'ai vu des lucioles voler.
Kobayashi Issa ( 1763-1828 )
Pour arriver jusqu'à ma
peau
Les balles ne pourraient jamais
Se débrouiller dans mes lainages.
Les balles ne pourraient jamais
Se débrouiller dans mes lainages.
Ecrire et se contraindre au court, très court, c’est
trouver la liberté dans la limitation. Se donner pour objectif la contemplation
de l’essentiel, de l’universellement sensible, en juste ce qu’il faut de mots pour
en devenir conscient et partager sa perception. En fait, sans en rien dire sinon le plus stricte
nécessaire.
Julien Vocance ( 1878-1954 )
Car
ce n'est pas travailler que d'être
une
rose, dirait-on.
Dieu, en regardant par la fenêtre,
fait la maison.
Dieu, en regardant par la fenêtre,
fait la maison.
Rainer-Maria Rilke ( 1875-1926 )
L'écoulement des baïonnettes,
pluie d'orage,
Et la foule tourbillonnant sur leur passage
Comme des feuilles dans le vent.
Et la foule tourbillonnant sur leur passage
Comme des feuilles dans le vent.
Julien Vocance ( 1878-1954 )