samedi 7 janvier 2017

Osons le texte court, très court .....



 «Libellule, gracile,  brins d’herbe sèche;
Herbe vivante parmi d'autres : infime différence,
Frrrt ! La vie a la transparence d’une aile".

Serge De La Torre


http://instantsdecriture.blogspot.fr/


                Osons le texte court, très très court ...

Rien ne dit
Dans le chant de la cigale
Qu’elle est près de sa fin.
Matsuo Bashõ( 1644-1695 )

Prenons une image, une photo, un tableau, l’ambiance d’un moment  ! Osons autour de son contenu le texte court, très court, non pas minimaliste dans sa composition,  (au contraire !), mais dans l’analyse détaillée qu’on fait du support, en évitant précisément  l’exhautivité de l’analyse des détails de l’objet,  pour mieux saisir l’essentiel de l’émotion à laquelle il nous conduit, ou l’essentiel brut ou conceptualisé de ce qu’il nous donne à voir.

Les humains passe encore
mais pas même les épouvantails
ne sont droits
Kobayashi Issa  ( 1763-1828 )

Quoi ! Faire, en somme, des haïkus ?  Mais nous ne sommes pas japonais, ni tournés, en esprit, comme eux.
Chaque fleur qui tombe
Les fait vieillir davantage
Les branches de prunier ! 
Yosa Buson  ( 1716-1783 )

Prenons dans un salon français une  de ces petites cloches japonaises, faisons la sonner.
Question : le son est-il japonais ou français ?
Ni l’un, ni l’autre, bien sûr !
De même le haïku, il n’a rien de japonais, c’est un exercice, pour certains un idéal, pas un nécessaire.
Mais écrire court, c’est s’adonner à l’exercice de la concision, de l’observation de l’essentiel, sinon de l’universel dans les petites choses.
Nuit brève
Combien de jours
Encore à vivre.
Masaoka Shiki  ( 1866-1909 )

Alors haïkus ou pas (Formes plus libres), essayons de voir ce que cette recherche, ce regard poétique spécifique sur les choses a à nous apporter. Approchons de l’extrême pour améliorer le plus simple et l’ordinaire.

Prenons précisément l’exemple du haïku !

Un bel exercice ! Exercice difficile, pratique extrémiste, soit , mais encore ?! Les moines japonais tout à leur intériorité et leur sagesse, en faisaient un signe de maîtrise du verbe, de clarté du regard et de sensibilité retenue. Comment y parvenir ?
Relever les émotions éprouvées dans la composition des choses, la spécificité du moment qui passe, qui émerveille ou bien qui étonne.
C'est dans sa rigueur extrême, une forme d’expression très concise, dix-sept syllabes en trois vers (5-7-5). Dix-sept temps en japonais (une syllabe peut avoir soit un, soit deux temps),  les règles du  haîku ont évolué en s’internationalisant, par exemple l'anglais s'accommode de 3-5-3). Mais l’un des maîtres du haïku japonais avait déjà dit, il y a bien longtemps:  "Les formes sont faites pour que l'on s'en écarte. Et pour s'en écarter, il n'est point de recette toute faite." (Bashô).
Toujours est-il que le haïku s'élabore et se retravaille. Il s'écrit généralement en un instant du moins pour ce qui est d’un premier jet, la spontanéité est donc à ce stade très importante. Sans travail de construction conscient et laborieux pour  cette phase de première écriture. C'est toujours le fruit d’un moment d'étonnement, d’une situation que l'on note : l'expression d'une épiphanie (le "aha moment" comme ils disent).
Mais le haïku moderne respecte encore moins les règles (tant pour ce qui est du fond, que de la forme) que le haïku classique. Il est souvent moins détaché de l’appréciation de l’auteur qui y semble plus agent présent ou sujet de l’émotion vécue.
"Le haïku, poème bref, une poignée de mots, en effleurant la surface des choses donne à sentir l'indicible profondeur de l'expérience humaine, saisie dans l'éternité de l'instant présent. Il traduit le talent du poète à saisir le merveilleux au cœur de l'ordinaire, l'absolu au cœur du relatif, le sacré au cœur du profane. Il met en évidence un détail, un échantillon du monde, qui résume le tout, signifie le tout, donne au tout sa profondeur."
Hervé Collet in 'Le maître est parti cueillir des herbes'


Avec un comptage plus libre des syllabes, on se contente par exemple d'une alternance court, long, court ou de trois vers ou l’un se détache dans sa rythmique de ceux qui le précède.
Préparés pour les sarcophages,
De blanc tout emmaillotés:
Ni mains, ni pieds, ni visage.
Julien Vocance  ( 1878-1954 )

 L'auteur peut ainsi choisir librement sa présentation, non sans oublier qu'il est plus important d'émouvoir que d'obtenir impérativement 17 syllabes. Dominique Chicot .

Il continuera  tout de même d’écrire au présent, de mettre en évidence l’essence de l’objet du poème, ou la quintessence du sujet. Il tentera de traduire son vécu émotionnel ou esthétique, hors mise en concepts logiques de ses émotions. C'est un ressenti suggéré, partagé.

Deux ou trois tableaux 'parallèles' qui se complètent et se renforcent mutuellement, deux images, apparemment distinctes, mais mises en comparaison par l'ajout de la troisième image, deux images qui s'opposent à la lecture de la troisième… (Dominique Chicot)
Et pourtant : "Rien de plus que la saisie éphémère d'un instant : prêt à être oublié, à jamais inoubliable." Maurice Coyaud

Dans le buisson,
Des yeux
De chevreuils ou de papillon.
Ces moments
Ou rien n'est intercepté.
Eugène Guillevic  ( 1907-1997 )

 Le sujet en perdra  souvent sa référence saisonnière ou naturaliste.
Des assiettes peintes
Dans l'âtre des poulets rôtissent
Ah! la bonne auberge!
Paul-Louis Couchoud  ( 1879-1959 )
Un enfant qui prend le frais
Me regarde veiller
Ma soeur dans son cercueil.
Moppo Tomita  ( 1897-1923 )
La rivière
De diamants
N’a pas de lit.
Malcolm de Chazal  ( 1902-1981 ) (Poète mauricien)
Ecrire court, très court, c’est comme composer des haïkus, c’est chercher « à déchirer la surface du quotidien d’un coup de fouet, en faisant claquer la cravache des mots » Alain Kervern (Auteur en Français et breton, traducteur du japonais, né à Saïgon en 1945)

Ecrire court, très court,
 la syntaxe doit être simple:
on limitera par exemple l'emploi des articles (Ils n’existent pas en japonais), on évitera même les rimes (le haïku n'est pas composé de vers rimés,  comme on l’entend en français), on usera parcimonieusement de  l'emploi de verbes ou d’adverbes même si P. Costa souligne que celui-ci « permet de condenser une idée à sa plus simple expression, et si certains détiennent une force émotionnelle poétique" (P. Costa). On n’abusera pas des qualificatifs de nom (un maximum par nom), on évitera les redondances d’observation, mais pas les répétitions  (puisque celles-ci peuvent renforcer votre 'histoire'). On se gardera  même de trop de métaphores.
Certains verront là des contraintes quand il ne convient d’y voir qu’une discipline structurante, un chemin de simplification du regard et de l’écriture plus que d’interdits et un auteur de haïku ou d’écrits courts vous enjoindra toujours à préférer écrire et partager vos émois, qu’à respecter des conseils de style trop rigides qu’il verra toujours comme simplement indicatifs.   
Le proverbe chinois ne précise-t-il pas que « Quand le sage désigne la lune, il faut être sot pour s’arrêter au doigt »
La preuve en est qu’il n’est rien, de plus provocateur, parfois :  que le texte très court  ou le haïku :

Des bites et des chattes
En train de bouillir
Affluence au bain public.
Taneda Santoka  ( 1882-1939 )

Par un pet de cheval
Éveillé
J'ai vu des lucioles voler.
Kobayashi Issa  ( 1763-1828 )

Pour arriver jusqu'à ma peau
Les balles ne pourraient jamais
Se débrouiller dans mes lainages.
Ecrire et se contraindre au court, très court, c’est trouver la liberté dans la limitation. Se donner pour objectif la contemplation de l’essentiel, de l’universellement sensible, en juste ce qu’il faut de mots pour en devenir conscient et partager sa perception. En fait,  sans en rien dire sinon le plus stricte nécessaire.

Julien Vocance  ( 1878-1954 )

Car ce n'est pas travailler que d'être 
une rose, dirait-on.
Dieu, en regardant par la fenêtre,
fait la maison.


Rainer-Maria Rilke  ( 1875-1926 )

L'écoulement des baïonnettes, pluie d'orage,
Et la foule tourbillonnant sur leur passage
Comme des feuilles dans le vent.

Julien Vocance  ( 1878-1954 )