dimanche 23 février 2014

Le débat



Il avait beau s'appeler M. Rozo, il n'en avait pas la souplesse.
Dans sa classe, régnait un silence tout empesé, né de cette distance qu'il savait mettre entre lui, et nous, pauvres choses sans savoirs.
Né de quelque cul-terreux, trop riche en fils et pauvre en terre, son père avait du voir dans sa modeste taille, le signe d'une aptitude aux lignes Seyes, plutôt qu'aux sillons et labours.
«Il sera «blouseux» plutôt que bouseux, il sera maître d'école».
Lucien Rozo nous arriva de l'Ecole Normale, à vingt ans, haut de son humiliant mètre cinquante.
Ce bourreau de rigueur restait enfermé le plus clair de son temps dans son logement de fonction au dessus de l'école, perdu dans sa routine de célibataire.
Après les maladresses de demoiselles mal conseillées et trop pressées de le conduire devant maire et curé, on craignit fort, au village, qu'il finit vieux garçon.
En fait, il ne faisait que suivre, avec zèle, le sévère «Code soleil de 1928» qui dit: «Le maître d'école évitera les vogues et foires, pour n'y risquer ni l'ivresse, ni la compromission, ni même toute danse ou comportements indécents».
Aux vacances, n'eussent été ses courses à l'épicerie de la veuve Morin, où il répondait court à la curiosité des commères, ou ses excursions, à la fraîche, vers les sous-bois, on l'eut pu croire mort.
Et on jasait, on jasait...
On le disait hautain? Je l'ai toujours su timide, ne sachant trop que faire parmi nous de ses humanités, les portant un peu comme une honte; comme d'autres, à force de bras disproportionnés, en deviennent tout gauches.
Il fallut Adrienne Loiseau, pour que sa vie s'égaille, et encore.
Les mauvaises langues (des jalouses sans doute!) dirent que Loiseau posa ses pattes sur «notre vert Rozo», et ne voulut plus le lâcher.
Mais il m'est avis que sous ce cœur de papier trop seul, se cachait un cœur d'artichaut. Un romantique, vous dis-je! ce Rozo-là!
En, à peine dix mois d'approche, autant de vertueux échanges pédagogiques et le double de cour honorable, le maître des fins d'études épousa, à la ville, la volatile maîtresse des grandes.
De retour, ils investirent la grande maison sise juste après le pont.
Elle était aussi ridiculement cubique, qu'il était, lui, petit et pointu, et elle longue et trapue.
Et la vie passa par là, un enfant leur naquit.
Des jaloux encore, à l'époque, dans leur dos bien sûr, dirent ne pouvoir «imaginer par quel miracle, ces deux là avaient trouvé à faire un enfant»; toujours est-il qu'on l'entendait bien vagir, les nuits d'été: vous savez, celles où l'on dort cul nu et fenêtre ouverte. C'était une fille! Rosine. Rosine Rozo? Parlez d'un nom!
Sous les exigences pointilleuses des deux lettrés, elle vécut son enfance parmi nos aînés : enfin, le stricte nécessaire!
Et elle n'eut, ma foi, pas besoin de plus qu'une autre pour devenir femme, réussir son professorat et se marier au bourg.
Dans l'entre-temps, Monsieur Rozo, n'avait rien perdu du hussard de la république.
Il avait encore, années après années, formé des générations d'honnêtes et secs citoyens.
Raidi de la confiance de l'Académie, il était devenu directeur, et se confisait en habitudes. Jugez plutôt!
La première fut reconnue d'utilité publique: M. Rozo tenait très précise la cloche de l'école au bout de sa chaîne, sonnant à heure pétante.
Et été comme hiver, midi et soir, il quittait sa classe, exactement trois minutes après la fin des cours: marchant à allure immuable, de l'école vers le pont.
Les ménagères, à son passage, prenaient repère et engageaient, au four, le fricot.
Ah! ça. Il était bien plus régulier qu'un train en gare de Lyon.
Je ne parlerai pas de son tic: cette main leste qu'il passait, sur son entrejambe, à tout moment du jour, comme s'il y remontait quelque mécanisme.
Mais jugez de la dernière, car elle fait encore date au village.
Notre homme initiait les classes de l'après-midi par une lecture à haute-voix, et il s'endormait, avec une parfaite régularité, derrière son livre, dès que lisait le premier d'entre nous.
Nous poursuivions pourtant à tour de rôle, si bien dressés et si craintifs qu'organisés en rangées, sachant découper seuls nos paragraphes, notre magistral Rozo pouvait, avec une humeur d'oreiller froissé, ne sortir de son sommeil, qu'après le gros Paul, quand arrivait le tour de Charles, avec ses ânonnements pénibles et ses bégaiements de phrases maltraitées.
Or un jour fameux de 1969, le magister arriva, lui, homme de rigueur horlogère et de rituel pédestre!, au volant d'une voiture!Tout échauffé, confus.,
En retard de plusieurs incroyables minutes!
Les maîtres, déjà l'excusaient: Rozo était depuis le matin, grand père. Entre midi et deux, à la maternité de la ville, il était allé visiter l'accouchée et son premier petit fils.
Ah, mais! Nous, ses élèves, ne nous en laisserions pas compter. Par ce retard, il avait rompu son contrat de vertu! Nous étions, en somme, nous aussi libérés de nos devoirs, tout droits conduits à l'audace.

Nos imaginations s'étaient enflammées. En l'attendant, nous avions organisé le tour qu'enfin nous oserions lui jouer.
Oh! comme nous guettâmes ses paupières! Et dès qu'elles tombèrent, nous lui fîmes une lecture de notre cru: sur le ton traînant et appliqué des élèves dociles, bien sûr.
Chacun, sagement, dans l'ordre habituel, et dans une improvisation appliquée:
- Moi, commença Bernard, mon Papé, il est en pâte à sel. Quand je mets mes doigts sur ses joues molles, elles s'enfoncent comme dans un pain à modeler.
– Le mien est plutôt une vieille pomme. Maman dit qu'il est vieux, mais c'est faux, car quand il est en colère après moi, il gagne toujours.
– Moi, mon Papou, on dirait qu'il a caché un coussin sous son pull. Un de ces jours, il accouchera, lui aussi, c'est sûr!
– Mon Papy à moi, il me sourit tout le temps et il sort ses fausses dents: on dirait qu'il aime quand je ris, mais j'n'ai pas que ça à faire.
– L'autre jour, il y avait un clown au Parc. Mais mon Papinet, il est plus fort que lui: quand il a forcé sur la chopine, il me fait même rire sans nez rouge.
– Le mien, quand passent les belles dames, l'été, il rentre son ventre. Et quand elles sont passées. Il souffle et respire à nouveau. Maman lui dit en riant: «Soyez sage, papa, Vous n' sauriez que faire de pareilles jeunesses!» Alors il s'en va, tête basse, en grognant.
Ainsi allions nous tous de nos tirades, puis vint Paul :
- Le mien aussi rentre bien sa bedaine. Et quand je le lui fais remarquer. Il répond: «T'as raison. Petit ! T'as l'œil!» Et moi, ça me fait tout chaud quand il me dit ça!»
Arriva le tour de Charles. Soudain, se leva un M. Rozo, terrible, et tonnant:
« Et toi Charles, que fait-il donc ton papy ? »
Depuis quand nous écoutait-il?
Nous avons tremblé, je vous le jure, ensemble, tout l'après-midi, attendant une sanction qui ne pouvait être que grandiose. Mais minute après minute, son front grave se détendit et à sa lippe, fleurit bientôt d'un sourire magnifique.
L'avions-nous touchés par nos propos? Entendait-il déjà dans nos voix celle de son petit-fils?
Nous ne le sûmes jamais, mais le mur avait pris une lézarde, car à compter de là, chaque après-midi, un «débat» fut institué, et c'est lui-même qui en donna le thème.
Oui. Il était fait de la même pâte d'amour et de misère que nous autres, M. Rozo, car jusqu'à sa retraite, il eut beau faire et lutter, il s'endormit toujours.
    

                                                               Serge De La Torre


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Le débat de Serge De La Torre est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
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Cette nouvelle est d'abord paru sur le site fermé de l'Aimant littéraire ( Atelier d'écriture qui utilise ce texte sur ses pages ouvertes à tout public pour faire sa promotion commerciale)
Je joins, ci-dessous, le lien vers l'élogieuse et presque embarrassante vidéo qu'a réalisé Jocelyne Barbas, (Formatrice à la nouvelle), à propos de cette nouvelle.
A voir sur Youtube:
http://www.youtube.com/watch?v=klqQu64peO4&feature=youtu.be

Ce texte a également été présenté au 47ème Concours littéraire Juliette Astier - Cestion de Montélimar, dans la rubrique concours de Nouvelles (Prix Charles Moulin), il y a obtenu une "Première Mention" en juin 2013. 

samedi 22 février 2014

De l’usage de la consigne dans l’atelier d'écriture littéraire





Il y a dans la consigne de l’atelier d’écriture, deux aspects :

L’un est purement littéraire et cognitif :

Les consignes sont à l’atelier d’écriture comme les situations-problèmes dans l’enseignement des mathématiques, des occasions de mise en déséquilibre salutaires, qui obligent à une remise en cause de nos savoirs, et « pouvoirs-écrire »  antérieurs pour nous mettre en chemin vers un état plus avancé de « capacité à écrire dans une forme donnée ». (Aspect d’invitation de la consigne)
Accéder à la production d’un texte à partir d’une consigne, c’est se trouver lancé vers un au delà du présent, inconnu.
 Passer par la nécessité de jouer le jeu, pour (se nourrissant de la contrainte et du chemin parcouru pour la réaliser), se trouver différent dans ses savoirs et savoirs-faire scripturaux à travers elle.

L’autre est un aspect personnel :

La psychopédagogie scolaire a su mettre en évidence, le fait qu’il n’y a aucune acquisition de connaissance, de savoir-faire qui ne s’accompagne d’une évolution, d’une modification au moins marginale des savoirs-être.

J’ai durant des années travailler avec des enfants atteints de troubles psychiques graves, dans l’incapacité régulière de gérer la remise en question que représentait l’apprentissage et  le nécessaire abandon de la stabilité d’un savoir, d’une expérience, d’une certaine image de soi, pour se trouver confronter à l’instabilité de la difficulté à apprendre c’est à dire à grandir.
Ils entraient, dès que se relâchait la réassurance massive qu’il fallait savoir mettre en place autour d’eux, dans des colères terribles, des violences folles.

Dans l’écriture, comme dans les mathématiques, oser lâcher la rampe du savoir acquis, de la connaissance accumulée et des savoirs faire stabilisés, c’est se retrouver pendant un temps au moins (fut-ce très brièvement : exemple, durant le temps de recréer un nouvel équilibre et une nouvelle situation de confort intellectuel),  se trouver dans un entre-deux, qui n’est pas loin d’être un vide, un peu effrayant.

Ainsi écrire pour apprendre, et grandir en tant qu’écrivant, est-il la chose suivante :
Intégrer, par la consigne, une contrainte qui va contrarier mon confort et mon attitude de repos, « quiétude d’équilibre » initiale, pour atteindre une attitude de repos ou « quiétude d’équilibre »secondaire plus évolué, une fois quelque chose produit.

Ce temps de déséquilibre, est le « ground zéro », d’où va émerger la créativité littéraire, à partir d’où « rien ne sera plus jamais comme avant ».

De la lutte entre :
1)    le Démon
de l’adversité en soi (défenses, résistances au changement, colères, peurs, perte de confiance en soi, difficulté à accepter la frustration de n’être pas encore assez brillant pour réussir d’emblée et de façon grandiose le devoir imposé)

2)   et  l’Archange
 (le moi écrivant en devenir, les forces de progrès en action dans ma décision d’écrire, celui qui veut avancer dans son projet…)
naîtra le texte que nous aura inspiré la consigne.
La consigne agît un peu comme un passage sous les fourches caudines, c’est un passage par une expérience difficile, parfois même humiliante au sens où elle nous conduit à une humilité.

Nous partons, tous avec quelque part, une grande idée de nous-même, même si elle ne se dit guère, une image enrichie et porteuse du potentiel que nous ressentons en nous.

Mais nous pouvons craindre de nous mettre à l’épreuve de la consigne et surtout de ne pas gagner, de ne pas réussir, de ne pas parvenir à surfer en maîtres sur sa crête où ce qu’elle nous indique comme nécessaire.
Il s’agit donc aussi d’une expérience de castration  de notre liberté immature .

Nous hésitons à nous mettre à l’épreuve du regard de l’autre, de ce qu’il dira de notre exercice de soumission : parce que cela vient toujours, juste après les mille et unes relecture.

L’autre, en effet, risque de ne pas nous comprendre, de ne pas « nous » apprécier à notre juste valeur « c’est à dire, globalement, à cette haute idée que j’ai de moi-même ou qu’au moins, je voudrais avoir de moi-même » la haute idée de ce que je viens de réussir, ce que je viens de sacrifier pour le produire…

Et voilà qui explique que nous ayons tant besoin de retours positifs et surtout du suprême regard bienveillant, positif ou au moins empathique du correcteur, des lecteurs, des critiques:
-       pour nous garder dans le courage de la confrontation au déséquilibre, au vide, à la créativité.
-        Pour oser naître (jouissance de la renaissance, de la victoire de l’archange sur le Démon de la peur ou de l’inconfort) : il nous a fallu mourir d’abord (petite mort et grands doutes inconfortables).

  Stephen King dans son livre « Ecriture », invite à toujours au moins payer un verre à un homme qui vient vous présenter son manuscrit, car fut-il mauvais, il a au moins eu le mérite de le produire.
  Je crois que c’est une attitude salutaire. Tout ce que nous faisons n’est pas bon ou des meilleurs, mais saluons la peine que nous avons eu à le faire.

 Nous avons sauté pied joint au fond de notre néantesque nature « inconnaissante », pour en ramener un matériau nouveau, peut-être une pépite (qui sait) souvent mal fondue, mais en cheminant, nous avons intégré la contrainte, humblement baisé la terre, les bras liés dans le dos, et nous avons appris en cheminant à cheminer, en écrivant à écrire.

Nous tenons le point de départ de texte, ou bien peut-être son style, ses grandes lignes.
Le reste est affaire de travail, affaire de peine et d’exercice d’affinage, de reécriture, de lectures critiques, personnelle d’abord, puis soumise aux autres.

Voici pour les peurs, qu’en est-il alors des esquives ?

Elles naissent des peurs bien sûr, elles nous parlent aussi de nous, de nos difficultés et résistances cognitives, de nos limites imaginatives, affectives ou stylistiques : telle consigne nous oblige à une limite de format, à une épure stylistique, qui nous est contre-nature, d’où résistances maximales et projections coléreuses sur la créatrice de la consigne (au pire !), sur soi-même (au mieux !) : « tu vaux rien ! », « t’es qu’une …. »
Ainsi peut-il se faire que l’on ait envie de se mettre, plus encore, à l’épreuve, pour moins ressentir la consigne comme un poids externe, pour en faire un outil que l’on nie en le renforçant soi-même :  en le mettant au galop, puisque le trot nous est demandé (pour échapper par obligation autoproclamée, à ce lieu où la consigne "trop sûrement et trop limitativement" nous amène).

 Je me souviens d’une consigne où il s’agissait d’intégrer dans une nouvelle de son cru comprenant moins de 6000 caractères, une dizaine de mots tirés de champs lexicaux sans lien les uns avec les autres, ce qui n’est en soi pas une réalisation des plus simples (si l’on souhaite que l’exercice soit réussi et ait au final un air naturel!). Ma seule façon d’échapper à la consigne a été de rajouter de la difficulté aux difficultés (en utilisant les dix mots en question, deux fois dans le texte de la nouvelle (négation de la difficulté par amplification de celle-ci), voir le texte « Donner à la vie un plus audacieux génome » du même auteur.

Quelque chose pourtant sait qu’ainsi l’Archange est plus sûrement vainqueur, car c’est lui-même qui nous a inspiré le combat. 
Je le battrais à main nu ce démon, puisqu'il faut le combattre, et qu’il a une épée :

 Bravade salutaire et glorieuse, bravade créatrice 
dans la jouissance finale de la création.

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De l’usage de la consigne dans l’atelier d'écriture littérairede De La Torre Serge est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
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                                                                       Serge De La Torre

dimanche 16 février 2014

Emotions TGV

Sur ce blog, je proposerai, dans les prochains temps, à votre lecture,
 des réalisations qui n'iront à aucun éditeur.
Elles sont nées en ateliers d'écriture créative en ligne, et ont été plusieurs fois retravaillées depuis que j'ai choisi de n'y plus contribuer.
Ces textes, j'en assume et revendique la paternité.
J'en ai écrit du premier caractère au dernier.
Et à ce titre, elle me revient de plein droit.


                                                               Émotions TGV

Lorsque Jean, soudain, leva le bras, comme pour se débarrasser d’un poids trop lourd, et que son visage se déforma en une grimace douloureuse, de suite, je compris…
Le cœur !
- Ne bouge pas Jean ! Ne bouge pas, surtout! le priai-je affolée.
A quatre-vingt ans passés, je hurlai; debout, à la cantonade :
« Au secours ! Mon mari a une attaque! Un médecin ! S’il vous plait! Aidez- moi… !»
Beaucoup levèrent mollement le nez de leurs livres ou de leurs écrans…
Un jeune homme, pourtant, quittait déjà le wagon, en quête du contrôleur…
Un enfant, qui couinait jusque là, dans les bras immobiles de son père, se tut, surpris par cette vieille dame, qui criait plus fort que lui…
Comment pouvais-je noter tous ces détails, alors que Jean se tordait de douleur ? Étonnamment, l’angoisse me faisait radiographier les choses.
Interminables furent ces instants au côté de « mon » Jean, suffoquant… jusqu’à l’appel à un médecin lancé aux voyageurs dans le haut-parleur, quelques minutes avant l’arrivée d’un médecin à côté du  chef du train. Je cherchai à rester là, à côté de lui,…me rendre utile pourquoi pas !?
 Brutalement, presque, il m’envoya m’asseoir plusieurs sièges plus loin, « pour  leur laisser le champ libre ».
On me tiendrait au courant… Je ne pouvais rien faire…
Perdue…
Une jeune fille que je ne connaissais pas, s’assit en face de moi, elle prit, en silence, mes mains tremblantes entre les siennes, tout en m’offrant sa silencieuse et sensible écoute…
 Quel était cet ange?  Je ne sais.
Alors éveillés par son patient silence se levèrent en moi, des mots que je n’aurais jamais cru possibles à dire en un pareil endroit, à une parfaite inconnue:
« Je n’ai plus que lui, sur qui je puisse compter tout à fait, vous savez… Les enfants sont loin… Ils ont leur vie….Nous ne voulons pas les gêner…juste pouvoir partir avec l’esprit tranquille et le sentiment d’avoir fait ce qu’il y avait à faire.… » .
La jeune fille, sans mot, me  souriait avec douceur :  elle était belle, et me serra les mains, à peine plus fort.
« Mon mari est très malade, depuis longtemps…. Je ne vis plus guère que pour le soigner… c’est le dernier sens que je donne à ma vie. On ne peut plus faire grand chose, mais on n’en veut pas plus! Quelques pas dans le quartier suffisent à l’épuiser, mais qu’importe ! C’est ce peu là que j’aime. On prend  ce qui peut encore être pris… Ce voyage est une folie, mais revoir encore notre fils et sa famille, c’était un peu oublier ce qui se trouve au bout des rails… Face à cela, on est tous pauvres, vous savez….il n’y a que l’amour qui réchauffe un peu, c’est là que se mesure ce qui compte, c’est là le vrai bonheur…. »
Sous mes yeux, la jeune fille pleurait sans bruit… Je lui tenais les mains tout doucement ….
Là-bas, la vie de Jean se jouait ; nos vies …
J’entendais le TGV scander le temps qui passe et la vie qui continue….




Serge De La Torre



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jeudi 6 février 2014

Et si la conscience humaine ...



L’être des choses ne seraient que pur et parfait hasard ? Qu’agencement aléatoire et sans ordre des atomes qui le composent ? Je n’y peux croire
La vue d’une galaxie, d’un filament d’ADN, d’une simple fleur, de la toile tissée d’une araignée même, tranquille et méthodique, me dit tout un ordre, toute une organisation élaborée du tissu de l’être, une "poussée" « ordonnante et en action partout », et ce, même si la forme ou l’effet de cette "poussée", me déplaît parfois, ou me fait compatir à la douleur qu’elle entraîne pour d’autres. Comment ne pas souffrir des victimes d'un tremblement de terre si précisément organisé par la tectonique des plaques.
Tout y est-il beau ?
Les chaos et catastrophes naturels sembleraient me dire que beauté et laideur y cohabitent, acculant à la folie celui qui voudrait que tout ne fut dans notre univers qu’harmonie et bonté.
Car, lorsque le chaos se livre à mes yeux, ils se remplissent du respect qu’inspire la terreur et la fascination,  parfois l’inacceptable,  l’absurde ; je vois encore du réel et il me le faut accepter.
Je reste silencieux et questionnant sur l’ordre sous jacent à l’horreur autant qu’au sublime. 
Jusqu'au cœur du chaos, il faut admirer la puissance et le terrifiant de la vie.

L’ordonnancement des choses dans l’univers suffit amplement à nourrir mon besoin d’émerveillement, de respect, de sentiment d’appartenance.

Qu’elle soit pensée ou voulue, organisée du dehors par quelque démiurge, par quelque volonté, je n’y pense que peu et ne sait y croire, je n’ai point les outils pour le faire, et me garderai bien d’imaginer que théologie ou science peuvent ici faire office de preuve ou m’y aider.
Je n’ai besoin, pour moi, que de ressentir le flux de la vie et du devenir qui m’habite, pour n’avoir pas besoin d’autre Etre suprême, que l’Etre-même-des-choses .
Je parviens même, assez facilement, à me dire que de cet « Etre –même-des-choses », après tout, je ne suis rien moins que l’un de ses visages particuliers, l’une de ses multiples facettes .
Oui pour son malheur ou son bonheur, je suis un « des visages du monde ».
Visage de l’être du monde…..quel plus beau titre sur ma carte de visite d'homme! Quelle plus belle gloire rêver en une vie !