jeudi 25 juillet 2013

J'ai fait cette découverte ce matin, j'écris par amour.

J'ai fait cette découverte ce matin, j'écris par amour. 
C'est à la poésie que je rattache mes plus anciens souvenirs de tendresses, tendresses maternelles.
A l'école, le poème scolaire a toujours été, pour moi, lieu de grands bonheurs. 
Non pas que j'ai été grand versificateur dans mon enfance, ni ne le soit devenu depuis d'ailleurs, malgré le fait je m'y sois, durant bien des années, essayé .
C'est plutôt qu' à côté des vers qu'on nous faisait apprendre, il y avait des illustrations à réaliser.
Hélas, j'étais piètre graphiste! Si j'avais déjà bien du mal avec la plume sergent-major dont on usait à l'époque, je dessinais plus maladroitement encore. 
C'est pourtant cette irréductible tare qui m'amena aux plaisirs de la langue rimée et pour un temps auprès de ma mère.
Elle, la cardeuse en usine, fille de paysans, avait si profondément pitié de moi, qu'elle faisait presque avec plaisir mes dessins. 
Elle était illettrée (ou si peu s'en faut!), il faut dire que le peu d'école qui lui fut jamais possible en ces années de guerre, elle le fit en deux langues toutes deux étrangères.
Elle, qui ne parlait à la maison que le rugueux patois de l'Alsace paysanne, s'y trouva (comme beaucoup dans cette région occupée par les uns ou les autres au gré des courants changeants de l'histoire du dernier siècle), dans la cour et sur les bancs de l'école , à l'oral ou à l'écrit, interdite tour à tour de l'une (la langue de Molière) puis de l'autre (celle de Goethe ou de Rilke).
Elle avait gardé, des maîtres impossibles d'une école qui ne lui avait guère donné, une graphie tremblante que je voyais se ratatiner, peureuse et prudente, sur les étiquettes de pots des confitures qu'elle confectionnait avec beaucoup de sucre et de doigté, dans d'immenses casseroles baveuses d'une écume odorante, en été.
A chaque poème donné à « décorer » comme on disait entre nous, elle savait attendre, avec patience, que je le lui lise. 
Et, vite d'accords, sur ce qu'il convenait de représenter, elle dessinait ravie et appliquée.
 Elle me sauvait de l'inévitable honte d'une piètre note appliquée par les scrupuleux censeurs des savoirs qui sévissaient ces années-là, ainsi que des sarcastiques sourires de tous mes camarades mi-peinés, trois-quarts ravis.
Naïvement, sans fierté, mais avec le sentiment de pouvoir enfin m'aider à quelque chose à l'école, enrichissant son esquisse grise de mille coups de crayons de couleurs pleins d'hésitation, elle faisait naître, du blanc de la page, des chèvres plus vraies que celles de Seguin : il faut dire qu'elle en avait gardées plus d'une, elle pouvait donc bien les rendre.
Elle réveillait aussi du néant de mes cahiers, des dormeurs du Val plus rouges de sang à leur vareuse que de vrais morts au combat : il faut dire qu'en 1940, il s'était bien couché là, son frère (dans un Val, quelque part du côté de Reims) ...
Quand aux rivières gloutonnes où l'on se noie pour inspirer son grand-père prince des alexandrins romantiques, nous y allions baigner le dimanche et les tombes des cimetières, elle en connaissait quelques unes qui valaient bien celle de Léopoldine que Victor Hugo tenait à « fleurir d'un bouquet de houx vert et de bruyère en fleurs, là-bas, au loin, du côté d'Harfleur ».

Oui la poésie ! Je n'en écrivais pas encore, mais je l'aimais déjà.
Elle disait selon moi, le beau, le triste, le doux, la guerre et l'absence... tant de choses diverses et contradictoires dont elle savait donner l'image, et qui nous parlaient à tous deux de paysages infinis, qui avaient le charme de traits incertains et naïfs : ceux, particuliers, d'un amour exprimé dans la connivence autour de quelques poètes.


dimanche 21 juillet 2013

Sillons



Nous ne pouvons pas tous laisser de profonds sillons aux champs  des littératures ou aux Panthéons des gloires humaines, mais notre siècle aura multiplié les espaces où partager vite et loin nos modestes contributions à la conscience collective .

Nous ne changerons pas tous la face du monde académique, ni celle de nos cultures, encore moins sans doute le cours majoritaire des choses, mais nos petits espaces d’échanges où courent nos folles envolées vagabondes ou nos mûres et conscientes élaborations partagées, seront peut-être, par le plus pur des hasards, les pierres où d’autres appuieront leur démarche.

A l’aulne du périple qui conduit à faire, collectivement, le tour du monde, le premier pas a-t-il moins de valeur que le dernier ? Le dernier serait-il, s’il n’y avait eu le premier ?

samedi 13 juillet 2013

La vie est une terre de miracle

Non, je ne deviens pas fou.
La retraite, pas plus que toutes ces années au travail, ne fera de moi, ni un saint, ni même un plongeur en eaux bénies.
Un vieux un peu sage? Peut-être! Dans longtemps! Il ne me déplairait pas.

Pour l'heure simplement, je tiens pour miraculeux ce qui me touche, ce qui m'arrive parfois, quand je n'attends rien et m'en retrouve bouleversé pourtant : rationalité cul par dessus tête, évidences cabossées .... 

J'ai vécu ce paradoxal bonheur (je ne me l’explique pas!), de vivre mon départ à la retraite comme un enterrement éprouvé de mon vivant. Quelque chose comme un retour sur investissement vital.
Je ne vous dirai pas tous les détails de ces jours, juste une grossière synthèse de mes impressions. Elles vous importeront, peut-être peu aujourd'hui, mais j'aime à penser qu'elles vous aideront, (un peu, qui sait!, bientôt!) à vivre les yeux mieux ouverts vos propres et originaux passages. De  ces années vécues au travail me sont revenus au visage le cœur que j'y ai mis, ou mieux le cœur de ce que j'y ai mis, souvent ou le plus souvent, sans m'en rendre compte. L'essence m'en a été rendue. J'ai fait le deuil d'un vécu, pu passer à un au-delà. 

Huit jours plein sur le thème.                                                          
Premièrement; nous avons accompagné jusqu'au sommet d'une montagne un ami avec qui j'ai travaillé à l'Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique, et qui partait « en retraite » : une tranche de vie à revoir, pour lui comme pour moi, en flashbacks. Une surprise de taille qui lui a été faite: cinquante personnes venues par divers chemins, rassemblées pour un pique-nique géant tiré des sacs.                                           
Mes propres collègues, deux jours plus tard, qui ont su avec plénitude et finesse rendre le sens de ce qu'ils ont perçu de mon engagement à l'ouvrage durant ces dernières années. Enterrement joyeux aussi! De quoi réjouir Brel quand il chante "Le moribond ».                                                                                             Oh ça, oui, on a bien ri.                                                                                                                                                                                    Les drôles ont été jusqu'à filmer dans les tiroirs de mon bureau, des boites de choucroute et de bon vin d’Alsace qu'ils y avaient mises.                                       Jusqu'à nous mettre une collègue et moi en compétition évaluative, tous les deux ridicules et heureux devant notre public.                                          Nombreux étaient ceux que j'avais perdu de vue, et qui ont répondu à l'appel  du dernier verre. 
          Et ma famille au complet, enfants, gendre, petit-fils et épouse à faire chorus et à m'offrir une bien émouvante chanson.                                                                                                                                                    Oui, de quoi faire le bilan ! Une soirée, pleine de musique : dehors, dans les gazons de l'école, sous  le feuillage des arbres bercés de brise, soutenu par un buffet richement garni.                                                                                                                                                                                      Chambré durant huit jours sur le thème: " Souviens-toi!" et  mille cadeaux d'adieu, pour me dire: " Va, vis, prends du bon temps !".
Et puis ce dernier jour! Comment défaire avec douceur, le fil des habitudes, du partage dans l'action, le fil des attachements et des responsabilités à assumer jusqu'au bout et puis à oublier demain. 
Ne me restait-il qu'à pleurer!? 
J'ai choisi d'en rire, encore. Vêtu, le matin, du costume sérieux de ma fonction, toutes les deux heures sous les yeux éberlués et rieurs des élèves mais surtout des collègues, je me suis allégé d'un effet. J'ai fini le jour; en short, tong, couronne de fausse fleur au cou et chemise hawaïenne. Des enfants  dessinant des bêtises sur un tee-shirt fantaisie tagué "Desesperate headmaster" ou "Very important person of this school"  .                                             Mais le jour n'était pas fini, je n'étais encore qu'à la frange du sens des choses. Avec mille complicités, dont celle de mon épouse, fine cachottière, des élèves de ma plus riche année d'enseignement, s'étaient donné(e)s   rendez-vous dans mon bureau.  Quinze ans plus tard; avec la chanson que nous avions crée ensemble et enregistrée avec des musiciens professionnels. J'ai donc bu la coupe, jusqu'à l'heureuse lie, et passé en leur compagnie, une soirée mémorable  à égrainer les souvenirs, à m'entendre dire qui j'avais été à leurs yeux, et à voir où tout cela les avait conduit(e)s chacun et chacune.                                                                                                           Sur un nuage d'ouate, je suis  finalement rentré pour recevoir l'ultime message de ce jour extraordinaire dont j'ai à me nourrir encore. Une ultime surprise dans un paquet blanc: ce livre arrivé le jour même, envoyé par Yves et Doris, nos amis de jeunesse. « Un voyage immobile » de Matthieu Ricard avec le plus beau message: "Deviens encore! Tes plus beaux instants sont là devant toi à goûter chaque jour". Un objet  magnifique, des photos sublimes et ce message, ce rappel de l'essentiel sens de la retraite: se retirer vers le centre, vers ce qui compte. L’immuable changeant. L’impermanente et multiple unicité de l’Etre.                                                                                              Seuls ma famille et de rares amis auront su totalement porter cette essentielle indication: l'importance de ce contact participatif que j'ai avec cette nature qui commence chez nous à ma porte, la méditation où elle me conduit généralement, l'écriture (le lieu où je m’efforce de la dire), et au travers de tout cela  la définitive quête de l'essence des choses.


"Entrer dans son cercueil", disent les moines zen de leur exercice de méditation. Je vais finalement à la retraite, comme on fait un premier pas, j'entre vivant et heureux en retraite, rien ne meurt en moi, tout se transforme pour un autre pareil. Je ne me retire pas d'un travail, j'entre dans un autre où je m'autorise à ne rien faire éventuellement pour le monde, à ne plus rien attendre, ni vouloir. Sinon goûter  peut-être à l'harmonie des choses, aux beautés du monde, à méditer ce nouveau rapport que j'ai à la vie.                 Sans doute, ne ferais-je, ce jour ou demain, rien d'autre que reprendre ce que j'ai toujours fait, parfois délaissé, ou cru délaisser .                                   
Je me rapproche pourtant de la source en suivant le grand fleuve où il va. Sous toutes les formes de l'eau, j'accepte encore de passer.

samedi 6 juillet 2013

Guide pour l'homme égaré






Et je craindrai sur l'autel de l'auto-promotion, d'oublier :
  • que je suis aussi faillible.
  • la conscience que j'ai de mes propres défauts, pour apprendre un plus juste chemin.
  • et même de reconnaître dans mes ratés ou les propos de mes critiques, ce qui me permettrait d' aller, plus justement, sur mon chemin.
    Et cela, à quelque gloire que je puisse me croire parvenu .

Je ne mettrais jamais :
  • aucune valeur, au dessus de ma quête de vérité, d'art et de justice,
  • aucune valeur, au dessus de mon souci de me connaître (dans mes grandeurs comme dans mes limites)
    Surtout jamais au dessus d'elles, je ne mettrai ni ma réussite, ni surtout l'argent que j'en voudrais tirer.
Je sais :
  • des millions de gens ordinaires, simplement honnêtes : tantôt bons, tantôt moins, mais que du moins protège le fait de ne point savoir, et je leur donne mon respect
  • je sais quelques parvenus, hommes de grands biens, qui n'ont rien voulu et tout reçu, que la réussite pourtant n'a point changé, que la vertu (le souci de vérité et de justice) guide encore : ils ont, eux aussi, mon respect, et doublement.
  • je sais quelques, bien plus rares, génies pauvres, de ces grands hommes qui préfèrent vivre sans le sou que se trahir, et au commerce refusent de sacrifier leur âme : je leur donne mon admiration, Ils ont, eux, fait le choix de la vertu, plutôt que celle de l'opulence, de la vie simple plutôt que celle de la vie en vue, celui de l'honnêteté plutôt que la renommée
  • ils existent aussi, les vereux aux poches plus ou moins pleines avec pignon sur rue, comptes en lignes et sites pleins d'éloges sur eux-mêmes. Ils usent de persiflages sur autrui, qui ne soignent que bien mal leur popularité, et, finalement, leur cachent les arrières plans de leurs propres actes. Prêt à tout, pour arriver à leur fin, pour apparaître aux yeux du monde dans un manteau couleur d'eau pure, pour faire disparaître ce qu' ils masquent dessous : leurs peaux de loup, leur manteau de nuit et leurs griffes rapaces.
Ils se parent d'écrans de fumée qui ne les illusionnent qu'eux-mêmes, et ne trompent leurs victimes qu'un temps.

Pour eux, tout est toujours guerre, car en eux ne se trouve pas de paix.
Ils se sont oubliés eux-mêmes, le jour où ils ont pris souci de soigner leur image, le jour où ils se sont mis à guêter anxieux les fluctuations de leur cotte de popularité, ou de leur porte-monnaie. Où ils ont cru devoir placer leur œuvre au dessus de leur personne, leur intérêt plus important que celui des autres.
Comme ils ont oublié leurs obligés derrière l'usage qu'ils en font et l'intérêt qu'ils leur rapportent, je les entends qui réclament encore pour eux-même:
- un droit au respect qu'ils oublient d'accorder,
- une parole libre qu'ils se ménagent sans la donner,
- un droit à être entiers qu'ils réservent à leur usage unique,
Ils se plaignent de ceux à qui pourtant ils refusent des chemins qui ne sont pas les leur ou ceux qui les enrichissent.
    Ils leur reprochent de ne pas savoir, quand on leur demande de l'aide, croit-il que chacun ne soit né que pour servir leurs désirs.
Et je dis qu' il n'est nulle position qui ouvre un crédit à pareille conduite, à un tel endormissement dans l'erreur : ni la gloire, ni l'argent, ni même la réussite.

Pas même la vertu n'y autorise ; au contraire elle oblige.
Toi, homme égaré !
Tu ne me dois rien, sans doute, et peut-être te dois-je beaucoup, mais un homme reste un homme.
Qu'il se croit grand ou qu'il soit petit.
Je ne te juge pas. Je n'en suis qu'à te regarder comme un semblable.
J'ai le temps de te comprendre, et même la patience de t'attendre !
Je te sais comme chacun.
Je te sais comme nous tous.
Je te sais comme moi, modelé de faiblesses, de besoins, de tentations absurdes et de volontés de puissances extrêmes : de ces égarements sans lumière que l'on nomme : illusions humaines.
Va ! Le temps nous apprendra !
Le temps nous apprend tout ! Au delà de la gloire éphémère, il nous enseigne l'humble mesure !